— Nul n’a encore réussit à « chanter une épopée de la paix » !
Pourquoi la “Paix” n’a-t-elle rien d’exaltant ?
Et pourquoi est il si difficile de la raconter ?
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... extrait de dialogues de ce film* remarquable à notre avis, et ce à plus d'un titre ...!
« Les Ailes du désir »
Bruno Ganz
“ce qu’aucun ange ne sait ...”
Solveig Dommartin
*(film de Wim Wenders – 1987)
L'exercice de la méditation se vit sous l'exigence de cette conscience orientée vers la transparence.
...devant, les expériences intérieures, les expériences personnelles. Je parle d'une expérience religieuse au-delà des religions.
L'interprétation de l'expérience mystique semble différente dans les diverses traditions religieuses. Mais nous devrions comprendre que ces différences qui caractérisent les races, les traditions et les cultures sont en fait des façons d'interpréter la même expérience.
Pour l'homme qui est enfermé dans l'espace-temps, l'Être qui est au-delà de l'espace et du temps passe à travers un prisme qui reflète d'une façon différente ce qui nous unit tous. Pour les uns, la lumière est perçue dans le rouge, pour d'autres, dans le vert. Et chacun identifie la vérité à sa couleur particulière. Un peu comme si, dans une cathédrale, on identifiait la Source Lumineuse à ce qui est déformé par les vitraux. Mais sur le plan le plus élémentaire ou sur le plan le plus élevé, on retrouve le plan de l'expérience profonde. Là, on se comprend sans paroles.
Si deux personnes se rencontrent sur un plan primal, elles se comprennent au premier instant. Il suffit de se regarder dans les yeux, sans plus, et on sait que l'autre a faim ou soif.
Le plan suivant est celui des conditionnements par la race, la langue, la culture, la tradition religieuse, les valeurs, etc. Impossible de se rencontrer sur ce plan ! C'est par exemple l'impossibilité d'accorder la tradition orientale et la tradition occidentale. Dans notre tradition, il y a le Père, Dieu le Père. Dans la tradition orientale, il y a le Grand Tout. Ne pourrait-on pas dire que le Père est, dans la tradition orientale, le Tout du Tout ? Et que devenir parfait comme le Père veut dire : « Devenez le Tout du Tout ! » Comme la poupée de sel, redevenez l'océan au-delà de toutes distinctions. Tout ce qui vous distingue du Père, effacez-le. La forme n'est qu'illusion puisque la statue de sel disparaît en redevenant l'océan.
Des centaines de millions de gens pensent ainsi. Nous devons avoir une attitude bienveillante et nous demander sur quelle expérience repose cette conception. Parce que les religions séparent les hommes, mais l'expérience religieuse les unit. Et le travail œcuménique ne donnera rien tant qu'on essaiera de rapprocher les paroles dans lesquelles on a durci les interprétations de l'expérience. C'est seulement lorsqu'on se rendra compte du fonds commun des expériences que l’œcuménisme fera un pas. Le reste est effort perdu.
La position occidentale est le oui à la création. L'autre moitié de l'humanité souligne l'importance de la dissolution de toutes formes. Ces deux positions s'excluent comme s'excluent l'inspiration et l'expiration. Nous ne pouvons pas, dans le même temps, inspirer et expirer. Mais peut-être faudrait-il comprendre que nous respirons de ces deux façons de voir. C'est un mouvement dialectique perpétuel et, selon la tradition, l'accent sera mis plutôt d'un côté ou plutôt de l'autre. Nous devons être très prudents et ne pas fixer une opinion définitive.
L'Occident a le Dieu personnel ; l'Orient a l'Absolu au-delà de tout. Mais si un Occidental ne projette plus ses désirs et ses craintes sur une image, ce qu'il rencontre dans une expérience profonde est-il vraiment une Personne ? Et que savons-nous de l'expérience d'un Oriental ? Est-ce qu'il n'y a pas dans cette expérience profonde une voix qui l'appelle ? De même, regardez prier une paysanne allemande dans son église et regardez prier une paysanne japonaise dans son temple. Où est la différence ? De plus en plus, je distingue l'expérience religieuse qui est commune à tous les hommes parce que l'Homme est l'homme, et l'interprétation de l'expérience qui est différente d'un homme à un autre.
p. 61 - 64 et 65
Le Centre de l'Être, L'intérêt pour la méditation
Un ami japonais qui avait lu mon livre vient me voir et me montre une liste de phrases reprises chez de grands mystiques de la tradition zen. Et à ma surprise ces phrases étaient littéralement les mêmes.
On doit donc reconnaître que si l'homme est capable de percer les différentes couches de ses conditionnements personnels et collectifs, il arrive à toucher quelque chose qui est identique pour tous les hommes. Si l'homme ne tombe pas dans le piège de vouloir immédiatement interpréter son expérience en termes de sa tradition ou de sa culture et qu'il se contente d'une expression spontanée, celle-ci sera toujours et partout la même. Au fond ce n'est pas étonnant, l'homme est l'homme ; la réalité est la réalité ; le divin est le divin ! Alors au fond on devrait toujours et partout trouver la même chose.
Les différences sont celles de l'interprétation de l'expérience. Interprétation qui investit la culture, la tradition, la maturité personnelle. Mais ce qui importe est de se rendre compte qu'il y a quelque chose en commun. Ce fonds commun se révèle dans l'expérience mystique.
Une autre objection, c'est de dire que ce n'est que subjectif parce que ce ne sont que des sentiments humains, ce ne sont que des émotions de l'homme. Cette réduction au ce n'est que rend compte d'un problème très grave pour l'homme actuel. Nous sommes tous imprégnés par l'idée d'une réalité objective telle que l'envisage la science. Et dans le sens où en parle Descartes, nous considérons une réalité objective à côté de laquelle la réalité du sujet n'est que subjective. On ne peut pas baser la réalité d'une expérience sur ce qui, dans les sciences, représente une source d'erreur ! En Occident, nous nous développons entre deux réalités : celle de la science qui a pour base l'expérience naturelle et celle de la foi qui a pour base la révélation supra-naturelle. Et, en regard de ces deux réalités, ce que vous éprouvez en tant qu'homme, en tant que sujet, n'est que subjectif !
Attention, ce n'est que subjectif par rapport à la science et à la foi. Mais on oublie cette réalité qu'est l'homme-sujet. Chacun de nous a sa réalité en tant que sujet. Pour reconnaître cette réalité de l'homme-sujet, il faut retirer les lunettes de l'homme de science et les lunettes du théologien. Parce que ces deux autorités représentent une source d'erreur pour ce que je vis, ce que je sens, ce que je ressens. Le sujet n'est pas une réalité qui peut être mise en question par l'aspect objectivant des sciences. Le sujet n'est pas une réalité qui peut être mise en question par l'aspect dogmatique de telle ou telle religion. Nous devons accepter l'homme en tant que sujet. Cet homme-sujet, c'est-à-dire la personne humaine, embrasse aussi la réalité des sciences, mais jamais l'esprit scientifique ne pourra embrasser l'homme en tant que sujet.
Toujours là où on parle d'une expérience mystique, il s'agit d'une expérience qui dépasse les expériences ordinaires. Toujours là où l'homme est touché par la transcendance, il éprouve quelque chose de paradoxal par rapport au “moi”, par rapport à sa vie ordinaire. Paradoxal ne veut pas dire que ce qui est éprouvé est un superlatif de ce qu'on a déjà expérimenté. Ce n'est pas une expérience d'une plus grande intensité ou d'une plus grande profondeur ; c'est autre chose.
Quel est le cadre existentiel qui favorise une expérience de la transcendance ? Il y a tout le champ des détresses humaines. Quelles sont les détresses que l'homme rencontre dans sa vie ? Il y en a trois. C'est la mort, la peur de la mort. Chacun de nous peut, s'il est honnête, avouer la peur de la mort qui le prend à partir de “l'ego” naturel. L'ego, c'est sa nature instinctive, veut vivre et survivre. La maladie, la souffrance, tout ce qui met notre vie en question représente l'ennemi !
La seconde grande détresse de l'homme est la rencontre avec l'absurde. C'est ce qui met en question les valeurs qui donnent sens à notre vie ; ce qui enlève le sens à l'existence. L'absurde pousse l'homme au désespoir. Toute notre existence, nous cherchons le sens de notre vie dans des valeurs telles que la culture, une certaine forme de civilisation, une éthique, un ordre, une légalité. Lorsque ces valeurs sont mises en question, l'homme est confronté à l'absurde et connaît la détresse. La troisième détresse est l'isolement. L'homme est ainsi fait qu'il cherche le dialogue. Il est, comme le disait Aristote, un animal social. Toute sa vie, il cherche l'autre, la communauté dans laquelle il sera reconnu et pourra se mettre à l'abri. Sans ce contact, il connaît la grande tristesse.
Le thérapeute reconnaît dans ces trois détresses la source des névroses avec lesquelles il a à faire. C'est l'homme qui est toujours plus ou moins angoissé parce qu'il a toujours peur de quelque chose. Ou celui qui n'a pas trouvé un sens à sa vie, qui n'a jamais pu s'affirmer en tant que personnalité. Enfin, c'est l'homme qui a manqué de contacts dans son enfance, il souffre toute sa vie d'un manque de contacts, c'est l'homme plutôt triste. En quoi ces détresses ont-elles à voir avec l'expérience de la transcendance ? Parce que l'homme qui est plongé dans l'une ou l'autre de ces détresses peut, d'un seul coup, se sentir libéré ! Comment cela est-il possible ? Lorsque l'homme fait ce qu'il ne peut pas faire sur le plan du “moi naturel”, accepter l'inacceptable. Il y a quantité d'exemples chez des hommes, des femmes, qui sont au seuil de la mort. L'acceptation de l'inacceptable est un des stades par lesquels passent ceux qui s'approchent de la mort. C'est ce moment où toute angoisse disparaît et un grand calme fait place à l'agitation, à la nervosité. C'est ce moment où la personne est enveloppée par une grande sérénité ; tout est en ordre, il n'y a plus de soucis. Un état d'être qui situe l'homme au-delà de ce qu'on appelle la vie et de ce qu'on appelle la mort.
Cette expérience peut prendre celui qui doit supporter un accident inattendu, brutal. Pour un moment le prend cet autre état d'être, paradoxal en regard de la réaction du “moi naturel”. Trop souvent une telle expérience ne reste qu'un souvenir étrange. On ne lui donne pas l'intérêt qu'elle mérite. Très souvent on doute de ce qu'on a expérimenté, senti, ressenti en se disant que ce n'est sans doute que subjectif.
Or, des milliers de personnes ont vécu de tels moments. Lorsque je fais une conférence il y a toujours une personne qui s'approche pour me dire que, à partir des exemples que j'ai donnés, elle se souvient d'une expérience à laquelle elle n'avait jamais donné d'importance ! Il est vrai que nous ne sommes pas éduqués à prendre au sérieux ce que nous sentons. De telles expériences peuvent donner la mesure de toute une vie. Parce que l'horizon du “moi naturel” a été dépassé d'une façon authentique et légitime. Et en tant que sujet nous avons été touchés par une autre réalité, la réalité transcendante.
De même dans une situation qui vous confronte avec l'absurde. L'homme qui n'a rien fait de répréhensible et qui subit les affres d'une erreur judiciaire est confronté à l'absurde. C'est tout simplement insupportable. Et voilà que si l'homme fait ce que sur le plan du “moi naturel” il ne peut pas faire, accepter l'inacceptable, il vit une expérience qui le met au-delà de l'absurde. Il peut vivre un moment de clarté et au cœur du non-sens existentiel il trouve le sens essentiel ! Cette clarté dépasse la dualité sens et non-sens que nous connaissons sur le plan de notre vie ordinaire.
Dans la confrontation avec la mort, l'homme qui vit l’expérience de ce qui transcende la vie et la mort est immergé dans un état de force. C'est un moment d’ouverture à la force essentielle dans la faiblesse du “moi naturel” existentiel. De cet état de force émane un grand calme.
Dans la confrontation avec l’absurde, l’homme qui vit l’expérience qui transcende le sens et le non-sens est immergé dans un état de lumière. C’est un moment d’ouverture à l’ordre universel dans ce qui représente le non-sens sur le plan de “l'ego”. De cet état de lumière émane une grande sérénité. Se révèle une sagesse qui
dépasse tout savoir humain.
Dans cette situation où on se sent abandonné, peut-être même trahi, il n’y a plus rien, c'est l'isolement total. Ici encore, si l’homme a cette grâce d’accepter sa situation inacceptable, il peut être plongé dans un état d'amour, une sensation d’union avec tout. Il se sent dans un état d’amour, comme il se sentait dans un état de lumière, dans un état de force. De ce contact avec tout émane une profonde joie de vivre.
On ne peut pas envisager une telle expérience sur le plan de la causalité. Ce qu’on peut dire, c’est qu'au moment même où l'homme abandonne les prérogatives instinctives et rationnelles de son “moi”, il s'ouvre à une puissance transcendante. De cette puissance transcendante s'origine une force transcendante, un ordre transcendant et un amour transcendant. C’est une chose étonnante de s'apercevoir que ces qualités sont celles que l’homme a toujours attribuées à ses dieux dans le polythéisme et à son Dieu dans le monothéisme : la puissance, la sagesse et l’amour. Qualités qui émanent du tréfonds de son être, de son Être essentiel.
p.p. 82 à 86
« Le Centre de l’Être »
“Propos de Karlfried Graf Dürckheim recueillis par Jacques Castermane”
Jacques Castermane Éditions Albin Michel © 1992
Il y a trente années donc, nous avons vécu un événement fort et signifiant, “les rencontres de personnes de bonne volonté” pour évoquer les déclinaisons de ce que pouvait évoquer le mot « Paix » pour les uns et les autres, paix de l’esprit, de la conscience, la paix en soi-même, le temps de paix entre les conflits, grands et petits ; lorsque les rivalités exacerbées règnent et que l’esprit de fraternité n’est pas cultivé dans le quotidien… “l’arbre de paix ne peut croître”, mais s’étiole et dépérit.
Ces rencontres sur le haut de la Côte de Jor en Dordogne (commune de Saint-Léon-sur-Vézère) le 24 août 1991* faisaient une suite, certes beaucoup plus modeste et beaucoup moins médiatisée, à celles d’Assise d’octobre 1986, mais dans le même esprit, surtout y intégrant à part entière la “société civile” aux côtés du monde clérical.
Avons-nous été bien inspirés d’y avoir contribué et d’être là ? Quelque peu “candide” ? Cela reste à voir, nous ne savons pas vraiment … toujours est-il que trois décennies plus tard, alors que probablement peu de référents mémoriels à ce sujet subsistent, il nous est apparu de quelque utilité de remémorer cet événement qui pour notre part restera ancré dans notre humble vie de “citoyen lambda”.
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Dialogues des Herméneutiques du monde, réflexions et « mise en résonance »*, autour des traditions et diverses “perceptions du Réel” (dites scientifiques ou philosophiques)
Le siècle qui nous précède a insisté sur « le conflit des herméneutiques** » (cf. Paul Ricoeur 1913-2005). Ce conflit n'est-il pas le point de départ d'un véritable « dialogue des herméneutiques », c'est-à-dire, de nos représentations du monde reconnues comme “représentation” et non comme “vérité” du monde.
Comme tout dialogue, celui-ci est conditionné par les différents degrés d'attention ou qualités d'Écoute des interlocuteurs.
La vision du monde de chacun reflète la qualité et la capacité de son regard et de ses “instruments” de compréhension...
Ce ne sont pas de[s]ux mondes, de[s]ux religions ou de[s]ux philosophies qui s'affrontent ou qui dialoguent, mais plusieurs niveaux de perception, d'attention, de compréhension, de contemplation ou d'Écoute...
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* “résonance” n'est pas comparaison, ni jugement, ni exclusion, ni récupération, ni sectarisme, ni syncrétisme, mais “échos” entre de[s]ux humanités reconnues dans leurs différences qui cherchent à se comprendre — prolégomènes (explication préliminaire) — à un dialogue des herméneutiques.
** étude rigoureuse de l'interprétation des signes et de leurs valeurs symboliques
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(extrait “adapté” p. 65 et 67) de « Milarépa, les dits du Mont Kaïlash »,
suivi de
“Les trois voies dans le bouddhisme et le christianisme”
Jean-Yves Leloup
Éditions Almora © 2020
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Si on prend comme exemple, cette réalité qu'on appelle de l'eau, sa “vraie” réalité, est-ce d'être “solide” comme de la glace, “fluide” comme une rivière, “brumeuse” comme une nuée ou un nuage ? Sa “vraie” réalité n'est-ce pas encore l'eau “évaporée” ? Ne subsiste alors que l'insubstantiel, le ciel pur... ?
Dira-t-on que la vérité relative de l’eau, c'est la glace, la rivière, le nuage.. et que sa vérité absolue c'est le ciel ?
Ce qui est “vrai” pour de la glace (qui semble solide) ne l'est plus pour la rivière (qui semble fluide) et ne l'est plus pour la nuée (qui ressemble à une vapeur) ... d'où vient “l'eau” ? Où retourne-t-elle, quelle est sa source, quel est son ciel ?
Poursuivant la pensée induite par cette métaphore pourrait-on dire que “la réalité” pour certains semble “solide”, logique, rationnelle, analysable “semble” seulement... la loi de la cause, et de l'effet fonctionne bien à ce niveau de réalité, mais ne fonctionne déjà plus de la même manière à un autre niveau de Conscience ou selon une autre mode de perception, ou la réalité ne nous apparaît plus comme solide (matière), mais comme fluide (énergie)… ?
À un autre niveau de Conscience ou selon une autre mode de perception, la réalité ne nous apparaîtra plus ni comme solide, ni comme fluide, mais comme “brumeuse” ni comme matière, ni comme fluide, mais comme une pensée ou comme un songe...
Qu'est-ce qui est le plus Réel ? Dira-t-on que le plus Réel, c'est lorsque la Réalité n'est plus perçue ni comme solide, fluide ou vaporeuse, mais comme “évaporée” ou comme “vide” ?
C'est ce qu'auront tendance à penser les traditions contemplatives ou gnostiques des diverses religions du monde ; il en résultera des conséquences éthiques et pratiques dans la transmission des doctrines et des rites de chacune de ces religions.
Par exemple, “la loi du Karma”, ou loi de la cause et de l'effet qui entraîne la croyance en la réincarnation ou dans la juste rétribution de nos actes dans un monde intermédiaire (purgatoire, ciel ou enfer). Cette loi n'est plus vraie à un autre niveau de réalité appréhendé par un autre niveau de conscience ou une autre mode de perception, ce serait mettre des limites à “l'infinie miséricorde” d'un « Absolu » considéré comme « Pur Amour » et infinie compassion. Ce qui est vrai à un moment de notre évolution et des connaissances que nous avons à ce moment ne l'est plus à un autre moment. Notre perception et notre conscience ont changées, la réalité ne nous semble plus la même ; ou ne peut plus croire à ce que l'on croyait fermement auparavant. La réincarnation nous apparaît alors comme une explication dépendante d'une conscience et d'une logique particulière.
Les sages réalisés (Jivan Mukta) ne peuvent plus croire à la “réincarnation”*, ils sont entrés dans un autre plan de conscience ou un autre niveau de réalité où la loi de la cause et de l'effet ne fonctionne plus — cela ne veut pas dire qu'ils la nient, ils en reconnaissent au contraire la nécessité à un certain niveau du développement spirituel où la conscience morale et le sens de la responsabilité doivent être éveillés : on ne peut pas faire n'importe quoi, tout ce que l'on fait a des conséquences, dans cette vie ou dans une autre, c'est l'affirmation qu'il existe une justice et “qu'on récolte ce qu'on sème”.
Cette justice immanente peut être mise en scène sous forme de « jugement dernier » ou de “réincarnation”. C'est le même niveau de réalité, la même vérité exprimée différemment, mais est-ce là “toute” la vérité ?
Leur témoignage affirme un état de conscience, un niveau de réalité, “libre” à l'égard de ces lois. Lorsqu'on l'interrogeait à propos de ses “vies futures” et du lieu où il devait se rendre après sa mort, Ramona Maharshi répondait « Je vais là où “Je Suis” depuis toujours ». Il ne s'embarrassait ni de spéculation sur les mondes intermédiaires, ni de soucis concernant sa prochaine incarnation.
D'où lui serait venu ce souci ? D'un ego sans doute, qui demande à “subsister” non seulement dans cette vie, mais encore et encore dans des vies à venir.
Pour celui qui a fait l'expérience de l'insubstantialité de l'ego, d'où pourrait lui venir ce souci ? D'où pourrait lui venir une question comme celle de la réincarnation ? Elle ne se pose plus, il demeure simplement là où est l'Espace, dans le “ciel” intérieur et extérieur... Là où est « Je Suis », quand toute vision solide, fluide, brumeuse, de soi-même se sont “évaporées” et que l'essence du “Je”, comme l'essence de l'eau s'est révélée dans son insusbtantialité qui contient tout.
Chacun habite une certaine vision du monde et essaye parfois de faire de cette habitation et de cette vision, une philosophie, une religion, une morale ou une politique qu'il veut partager avec autrui et cela est bon... si cette habitation ne s'impose pas comme la norme et si cette vision ne s'impose pas comme la vérité, le dialogue des herméneutiques est alors en marche. Les visions “solides” de la Réalité (matérialistes) peuvent dialoguer avec les visions “fluides” ou “flous” de la Réalité (physique quantique), mais aussi avec les visions “imagées”, “songeuses”, “brumeuses”, parfois des poètes, des religieux et autres explorateurs de l'inconscient, quant à la vision “vide” ou “évaporée” du Réel, telle que l'expérimente les mystiques, les sages et les gnostiques on les accusera sans doute d'habiter un “arrière monde” alors qu'ils habitent l'essence même du monde, son “insubstantialité” que les instruments les plus scientifiques et les modes de perceptions ou de fonctionnement les plus élaborées du cerveau commencent à pressentir.
Ils habitent l'Espace invincible, le Silence immaculé, qu'aucun concept, aucun “moustique” n'arrivera jamais à “piquer”. C'est un “coup dur” pour tout ce qui fut imaginé comme “solide” !
On a eu raison de dire que “l'air des sommets est irrespirable”, quelle “cage” thoracique pourrait le contenir ? “On ne peut pas voir Dieu sans mourir”, sans mourir à un certain mode limité de perception et de représentation du Réel — seul l'infini peut connaître — seul l'Espace insubstantiel ...
pages 114 à 118
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« Milarèpa, Les dits du Mont Kailash », jean-Yves Leloup - Éditions Almora © 2020
“Les trois voies dans le bouddhisme et le christianisme”
J.-Y. Leloup Milarepa - Citations.pdf
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* ... Milà : « Je n’ai jamais eu nouvelle de qui j’incarnerais. Quand même j’incarnerais les trois enfers, vous devez partout voir en moi le Porte-Sceptre et les autres Bodhisattvas, et recevoir leur bénédiction avec dévotion. Cette croyance que je suis une incarnation est une bonne opinion de ma personne. Mais il n’est pas plus grande hérésie que cette croyance. C’est parce que vous ne connaissez pas les effets de ma doctrine. D’abord la loi est si vaste que quiconque eût été un grand pécheur comme je le fus dans ma jeunesse, et ayant ensuite cru aux causes et aux effets, eût renoncé au monde et eût médité dans la paix de son corps, de sa parole et de sa pensée, ne serait pas éloigné d’atteindre la Bodhi.
Mais plus particulièrement, si on a pu méditer sous la direction d’un Lama marqué de la sainteté après en avoir obtenu les formules et le pouvoir d’expliquer sans les obscurcir d’idées préconçues, mais jusqu’à les voir à nu, le sens réel et l’enseignement du plus court chemin des formules secrètes, alors on ne doutera plus si on sera Buddha ou non dans cette vie. »
p. 222
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un extrait de « MILAREPA » - éditions Fayard ©1971 (traduction de Jacques Bacot)
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LES 12 CLIMATS CORPORELS selon Jean Yves Leloup ...
(très beau texte à vivre !)
https://hridayartha.blogspot.com/2024/02/il-suffit-de-passer-le-pont.html
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STRATÉGIE DE SURVIE , ENCORE ET TOUJOURS (extrait du "carnet")
Un homme que j’accompagne depuis plus de vingt ans me
parle de ce qu’il observe de sa « stratégie de survie » telle qu’elle se manifeste sur le vif, à travers des réactions intérieures et extérieures.
Ce qu’il y a de remarquable avec cette fameuse stratégie de survie, c’est qu’elle peut s’énoncer en quelques phrases, lesquelles n’auront rien d’extraordinaire pour un auditeur non averti, et qu’elle ne bouge pas au fil des années, des décennies, de l’existence toute entière.
Elle ne se modifie en rien. Ce que cet homme perçoit maintenant avec tant d’acuité était là il y a vingt ans. De fait, nous l’avons déjà abordé ensemble à maintes reprises, et presque dans les mêmes termes.
Ce qui change, ce n’est pas la stratégie c’est sa conscience à lui du degré auquel cette stratégie le manipule.
En pratique, cette stratégie n’est rien d’autre que l’ego et le mental au niveau du noyau, la façon dont l’ego et le mental se sont cristallisés chez cette personne particulière. C’est précisément pourquoi la prétention à émerger du principe ego est naïve.
L’ego n’est pas un principe, c’est chez chacun de nous un fonctionnement certes régi par des lois impersonnelles s’appliquant à tous (l’ego-centrisme) mais qui s’articule de manière quasi unique chez chacun.
Voilà aussi pourquoi la distinction entre psychologie et spiritualité s’avère au final artificielle.
Il y a bien un « niveau spirituel » à distinguer du « niveau psychologique ».
Mais dès lors qu’il s’agit de « Travail » de « liberté », les deux s’interpénètrent continuellement.
Oui, le niveau spirituel en lui même n’est pas affecté par le niveau psychologique ; oui ce niveau spirituel est en lui même radicalement libre, non dépendant, non inscrit dans le temps, l’espace, l’histoire …
Et l’erreur fatale consiste à croire, encore une fois naïvement si on y réfléchit ,qu’une forme humaine (donc une personne) pourra en tant que forme fonctionner dans le monde des formes à partir de ce niveau spirituel sans que quoi que ce soit de la forme interfère et colore.
Erreur qui amène à considérer (ce qui est bien pratique) que l’ « éveil » se passe de tout contexte et donc à négliger, même pas le travail « psychologique » mais tout simplement … le « Travail », le travail sur cette matière humaine à travers laquelle le niveau spirituel va s’exprimer, se manifester.
Cette négligence conduit à tous les abus, à toutes les illusions, à toutes les « chutes » malheureusement si fréquentes dorénavant chez nombre d’enseignants se voulant « éveillés ». Ils ont négligé le contexte, voire utilisé « l’éveil » comme un alibi pour s’économiser le « travail ». Dangereuse négligence à moyen terme.
J’ai relu récemment des notes prises il y a quelques années à propos de ma propre « stratégie de survie ». Et j’ai été frappé de constater comment tout était déjà clairement articulé dans ces notes. Et comment, pourtant, il m’est nécessaire d’y revenir, encore et encore, tant qu’il en reste ne serait ce que des bribes actives.
En vérité, sur la voie, on ne fait que tourner autour du noyau, en cercles concentriques. On tourne autour, on s’en rapproche. Plus on s’en rapproche plus c’est « chaud ». Jusqu’à traverser le dit noyau. Le trou de l’aiguille. Voir le traverser plusieurs fois car il a la vie dure.
C’est cela « le travail ». Combien de personnes pourtant sincèrement touchées par « la voie » ne le soupçonnent pas encore ? Et ce travail se situe tellement à l’opposé des fascinations actuelles pour l’immédiat, la soi disant approche « directe ». Comme si il existait des approches "indirectes" empruntées par quantité de pauvres gens tenant absolument à perdre leur temps ...
“Le coin des citations” - « L’Art de Voir » “Lettres à ses disciples”, Swàmi Prajnànpad
Éditions L’Originel © 1988
« L’Art de Voir » “Lettres à ses disciples” - Cit.pdf
https://www.facebook.com/ecrivaingillesfarcet
... et puis il y a l'échec "d'une vie spirituelle", plus ou moins flagrant en particulier dans sa toxicité, dont on fait l'impasse, que l'on passe sous-silence, car cela n'est pas bon pour le "business sacré" !
... le coin des citations :
et au final ... reste la continuité de "l'espoir" insondable !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tant_qu%27il_y_a_de_la_guerre,_il_y_a_de_l%27espoir
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* 1991 - Année internationale du Tibet
4 mars 2024 :
« ECHOES FROM FORGOTTEN MOUNTAINS : TIBET IN WAR AND PEACE »
Jamyang Norbu
https://www.phayul.com/2024/03/04/49884/