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Il y a 30 ans le 24 août 1991 - Côte de Jor en Dordogne « Rencontres de personnes de bonne volonté »

 

Nul n’a encore réussit à « chanter une épopée de la paix » !
Pourquoi la “Paix” n’a-t-elle rien d’exaltant ?

Et pourquoi est il si difficile de la raconter ?
— — — —
... extrait de dialogues de ce film* remarquable à notre avis, et ce à plus d'un titre ...!
«  Les Ailes du désir  »

Bruno Ganz - Copie.jpg

Bruno Ganz

“ce qu’aucun ange ne sait ...”

Solveig Dommartin - Copie.jpg

Solveig Dommartin
*(film de Wim Wenders – 1987)

 

L'exercice de la méditation se vit sous l'exigence de cette conscience orientée vers la transparence. 

Orient-Occident

 
Lorsqu'on se propose de pratiquer la méditation sans objet, il est très important de comprendre la relation entre Orient et Occident. Ce qui peut ensuite nous permettre de comprendre les différences entre bouddhisme et christianisme. 
L'Orient s'intéresse à ce qui est opposé à toute distinction, c'est-à-dire à ce qui est un. Et de l'autre côté, l'Occident s'intéresse à la dualité, à la relation “moi-toi”.
 En réalité, il s'agit d'une apparente contradiction en nous-mêmes. Ces deux positions sont les deux aspects d'une même chose. C'est ce que le taoïsme symbolise dans le Yin et le Yang.
 Bien sûr, si j'expire je ne peux pas, en même temps, inspirer ! Et si j'inspire je ne peux pas, en même temps, expirer ! Mais, Homme vivant, je vis de ces deux mouvements sans pouvoir exclure ni l'un ni l'autre.
 La rencontre avec l'Orient pour un Occidental ne deviendra fructueuse que dans la mesure où il comprend que ce qu'il rencontre, c'est son ombre. C'est-à-dire un pôle de lui-même dont il n'est pas encore conscient. Il ne faut pas exclure un côté pour être fidèle à l'autre. La Vie est un dialogue entre ces deux pôles que “je suis”*.

Nous vivons une époque où nous devons dépasser ces querelles qui conduisent à devoir se décider pour ceci ou pour cela. Il faut faire la différence entre l'expérience mystique et la théologie. Chacune a son bon droit et nous pouvons mettre l'accent sur l'une ou sur l'autre. Mais nous ne pouvons exclure ni l'une ni l'autre ! 
Nous sentons aujourd'hui qu'une théologie durcie dans des images vole à ceux qui cherchent le sens profond de la vie la possibilité d'une expérience. Je respecte les “-logies” qui seront toujours nécessaires**. Je ne conteste pas les grands symboles comme la Sainte Trinité. Mais la racine vivante de ces symboles sera toujours l'expérience du cœur de l'homme. La réalité dont il est question dans les religions est une réalité de la rencontre.

[...]

La jeune génération commence à prendre au sérieux l'expérience personnelle. C'est ainsi que l'on réconcilie l'Orient et l'Occident en soi-même. “Non pas en faisant une grande soupe mais en voyant très bien les deux côtés et en observant que les uns ont mis l'accent plutôt d'un côté et que les autres ont mis l'accent plutôt de l'autre côté.
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* (ou : dans “autre” est “je”)
**(...plus ou moins !) [n. du transcripteur]
p.p.159-160

« ...l'homme est son corps ! On me demande encore parfois si l'expérience mystique est une expérience spirituelle ou corporelle. Cette distinction n'a pas de sens. Dans une telle expérience, je suis touché d'une certaine façon. Dans une expérience mystique c'est la personne entière qui est touchée. » 
« ...Je ne me sens pas conditionné par une religion, mais pourtant par “une sorte de religiosité”, ce qui est autre chose ! »
 Une religiosité sans appartenance ni adhésion à une confession particulière définit assez bien la proposition que nous fait Graf Dürckheim lorsqu'il nous invite à nous mettre en chemin. Il a toujours dit : « Mon travail n'est pas chrétien... mais il n'est pas non chrétien ; mon travail n'est pas bouddhiste... mais il n'est pas non bouddhiste ! » En même temps il respectait totalement votre appartenance à telle ou telle confession. Et il invitait tout aussi bien le catholique et le protestant que l'athée à prendre au sérieux les expériences dans lesquelles se révèle l'Être. « L'expérience de l’Être est accessible à l'Homme non pas parce qu'il est chrétien ou bouddhiste mais parce qu'il est un Homme !! »
Ainsi, le christianisme rétrécit la vision de la transcendance en demandant la foi en Jésus-Christ qui représente l'achèvement du cheminement religieux.
 Le bouddhisme, l'hindouisme, le shintoïsme sont d'autres exemples d'une conception étroite de la transcendance. Le danger de ces conceptions étroites est de faire de la transcendance une “propriété privée” !! Graf Dürckheim nous rend attentifs à ce danger en répétant : « La transcendance est le berceau de toutes les religions mais la transcendance n'appartient à aucune religion. » 
p.p. 30 à 32

LE CHEMIN OU LA GRÂCE ? 
Pour le chrétien, au centre de tout ce qui lui arrive, il y a la dimension de la grâce. Toujours encore le monde chrétien met en question l'idée d'un chemin où l'homme œuvre lui-même. Mais c'est un malentendu de croire que pour l'Orient la grâce n'existe pas. Au contraire, chaque maître oriental vous dira que ce qui est important sur le chemin, vous ne pouvez pas le faire à partir de vos propres forces. Mais que vous pouvez engager vos forces afin de vous ouvrir à la chance d'une expérience. Ces expériences dans lesquelles on est touché par l'Être nous arrivent aussi à nous Occidentaux, que nous soyons chrétiens ou non. Ce que nous devons apprendre, c'est à les prendre au sérieux. 
Nous devons savoir que le chemin commence avec une expérience dans laquelle l'Homme a senti quelque chose qui non seulement libère mais en même temps représente un appel. Le chemin commence là où nous sommes attentifs à ce que notre profondeur demande et exige. Ensuite le chemin est fidélité à l'exercice. 
p. 165

Mon intérêt pour le zen 
En ce qui concerne le point de vue religieux de mon travail, je n'ai jamais discuté de problèmes théologiques mais je me suis occupé de l'expérience religieuse. Je me suis occupé de ce que j'appelle la religiosité vivante. Et aussi du cheminement, de la discipline, de l'ascèse qui favorisent et permettent une telle expérience.
 Tout d'abord je voudrais bien éliminer un malentendu, qui, si jamais il existe encore, fausse la compréhension de mon enseignement. Jamais je ne me suis considéré comme étant un maître zen ou comme enseignant une pratique zen. Il est vrai que j'ai passé une dizaine d'années au Japon. Ce qui m'a intéressé en Extrême-Orient ce n'est pas le bouddhisme mais ce qu'on pourrait appeler la religion universelle de l'homme qui, en tant qu'être humain, a sa racine dans la transcendance. 
Où qu'on aille, quelle que soit la tradition religieuse qu'on aborde, nous pouvons reconnaître les expériences et les chemins communs. Ces expériences communes révèlent ce qu'il y a d'universel dans un contenu particulier. Ce qui m'a intéressé dans le zen n'est pas le contenu bouddhiste mais le principe universel que ce contenu particulier révèle. 
p. 47

...devant, les expériences intérieures, les expériences personnelles. Je parle d'une expérience religieuse au-delà des religions. 
L'interprétation de l'expérience mystique semble différente dans les diverses traditions religieuses. Mais nous devrions comprendre que ces différences qui caractérisent les races, les traditions et les cultures sont en fait des façons d'interpréter la même expérience.
 Pour l'homme qui est enfermé dans l'espace-temps, l'Être qui est au-delà de l'espace et du temps passe à travers un prisme qui reflète d'une façon différente ce qui nous unit tous. Pour les uns, la lumière est perçue dans le rouge, pour d'autres, dans le vert. Et chacun identifie la vérité à sa couleur particulière. Un peu comme si, dans une cathédrale, on identifiait la Source Lumineuse à ce qui est déformé par les vitraux. Mais sur le plan le plus élémentaire ou sur le plan le plus élevé, on retrouve le plan de l'expérience profonde. Là, on se comprend sans paroles. 
Si deux personnes se rencontrent sur un plan primal, elles se comprennent au premier instant. Il suffit de se regarder dans les yeux, sans plus, et on sait que l'autre a faim ou soif. 
Le plan suivant est celui des conditionnements par la race, la langue, la culture, la tradition religieuse, les valeurs, etc. Impossible de se rencontrer sur ce plan ! C'est par exemple l'impossibilité d'accorder la tradition orientale et la tradition occidentale. Dans notre tradition, il y a le Père, Dieu le Père. Dans la tradition orientale, il y a le Grand Tout. Ne pourrait-on pas dire que le Père est, dans la tradition orientale, le Tout du Tout ? Et que devenir parfait comme le Père veut dire : « Devenez le Tout du Tout ! » Comme la poupée de sel, redevenez l'océan au-delà de toutes distinctions. Tout ce qui vous distingue du Père, effacez-le. La forme n'est qu'illusion puisque la statue de sel disparaît en redevenant l'océan. 
Des centaines de millions de gens pensent ainsi. Nous devons avoir une attitude bienveillante et nous demander sur quelle expérience repose cette conception. Parce que les religions séparent les hommes, mais l'expérience religieuse les unit. Et le travail œcuménique ne donnera rien tant qu'on essaiera de rapprocher les paroles dans lesquelles on a durci les interprétations de l'expérience. C'est seulement lorsqu'on se rendra compte du fonds commun des expériences que l’œcuménisme fera un pas. Le reste est effort perdu.
 La position occidentale est le oui à la création. L'autre moitié de l'humanité souligne l'importance de la dissolution de toutes formes. Ces deux positions s'excluent comme s'excluent l'inspiration et l'expiration. Nous ne pouvons pas, dans le même temps, inspirer et expirer. Mais peut-être faudrait-il comprendre que nous respirons de ces deux façons de voir. C'est un mouvement dialectique perpétuel et, selon la tradition, l'accent sera mis plutôt d'un côté ou plutôt de l'autre. Nous devons être très prudents et ne pas fixer une opinion définitive. 
L'Occident a le Dieu personnel ; l'Orient a l'Absolu au-delà de tout. Mais si un Occidental ne projette plus ses désirs et ses craintes sur une image, ce qu'il rencontre dans une expérience profonde est-il vraiment une Personne ? Et que savons-nous de l'expérience d'un Oriental ? Est-ce qu'il n'y a pas dans cette expérience profonde une voix qui l'appelle ? De même, regardez prier une paysanne allemande dans son église et regardez prier une paysanne japonaise dans son temple. Où est la différence ? De plus en plus, je distingue l'expérience religieuse qui est commune à tous les hommes parce que l'Homme est l'homme, et l'interprétation de l'expérience qui est différente d'un homme à un autre. 
p. 61 - 64 et 65  

Le Centre de l'Être, L'intérêt pour la méditation
Un ami japonais qui avait lu mon livre vient me voir et me montre une liste de phrases reprises chez de grands mystiques de la tradition zen. Et à ma surprise ces phrases étaient littéralement les mêmes. 
On doit donc reconnaître que si l'homme est capable de percer les différentes couches de ses conditionnements personnels et collectifs, il arrive à toucher quelque chose qui est identique pour tous les hommes. Si l'homme ne tombe pas dans le piège de vouloir immédiatement interpréter son expérience en termes de sa tradition ou de sa culture et qu'il se contente d'une expression spontanée, celle-ci sera toujours et partout la même. Au fond ce n'est pas étonnant, l'homme est l'homme ; la réalité est la réalité ; le divin est le divin ! Alors au fond on devrait toujours et partout trouver la même chose. 
Les différences sont celles de l'interprétation de l'expérience. Interprétation qui investit la culture, la tradition, la maturité personnelle. Mais ce qui importe est de se rendre compte qu'il y a quelque chose en commun. Ce fonds commun se révèle dans l'expérience mystique. 
Une autre objection, c'est de dire que ce n'est que subjectif parce que ce ne sont que des sentiments humains, ce ne sont que des émotions de l'homme. Cette réduction au ce n'est que rend compte d'un problème très grave pour l'homme actuel. Nous sommes tous imprégnés par l'idée d'une réalité objective telle que l'envisage la science. Et dans le sens où en parle Descartes, nous considérons une réalité objective à côté de laquelle la réalité du sujet n'est que subjective. On ne peut pas baser la réalité d'une expérience sur ce qui, dans les sciences, représente une source d'erreur ! En Occident, nous nous développons entre deux réalités : celle de la science qui a pour base l'expérience naturelle et celle de la foi qui a pour base la révélation supra-naturelle. Et, en regard de ces deux réalités, ce que vous éprouvez en tant qu'homme, en tant que sujet, n'est que subjectif ! 
Attention, ce n'est que subjectif par rapport à la science et à la foi. Mais on oublie cette réalité qu'est l'homme-sujet. Chacun de nous a sa réalité en tant que sujet. Pour reconnaître cette réalité de l'homme-sujet, il faut retirer les lunettes de l'homme de science et les lunettes du théologien. Parce que ces deux autorités représentent une source d'erreur pour ce que je vis, ce que je sens, ce que je ressens. Le sujet n'est pas une réalité qui peut être mise en question par l'aspect objectivant des sciences. Le sujet n'est pas une réalité qui peut être mise en question par l'aspect dogmatique de telle ou telle religion. Nous devons accepter l'homme en tant que sujet. Cet homme-sujet, c'est-à-dire la personne humaine, embrasse aussi la réalité des sciences, mais jamais l'esprit scientifique ne pourra embrasser l'homme en tant que sujet.
 Toujours là où on parle d'une expérience mystique, il s'agit d'une expérience qui dépasse les expériences ordinaires. Toujours là où l'homme est touché par la transcendance, il éprouve quelque chose de paradoxal par rapport au “moi”, par rapport à sa vie ordinaire. Paradoxal ne veut pas dire que ce qui est éprouvé est un superlatif de ce qu'on a déjà expérimenté. Ce n'est pas une expérience d'une plus grande intensité ou d'une plus grande profondeur ; c'est autre chose.
 Quel est le cadre existentiel qui favorise une expérience de la transcendance ? Il y a tout le champ des détresses humaines. Quelles sont les détresses que l'homme rencontre dans sa vie ? Il y en a trois. C'est la mort, la peur de la mort. Chacun de nous peut, s'il est honnête, avouer la peur de la mort qui le prend à partir de “l'ego” naturel. L'ego, c'est sa nature instinctive, veut vivre et survivre. La maladie, la souffrance, tout ce qui met notre vie en question représente l'ennemi !
 La seconde grande détresse de l'homme est la rencontre avec l'absurde. C'est ce qui met en question les valeurs qui donnent sens à notre vie ; ce qui enlève le sens à l'existence. L'absurde pousse l'homme au désespoir. Toute notre existence, nous cherchons le sens de notre vie dans des valeurs telles que la culture, une certaine forme de civilisation, une éthique, un ordre, une légalité. Lorsque ces valeurs sont mises en question, l'homme est confronté à l'absurde et connaît la détresse. La troisième détresse est l'isolement. L'homme est ainsi fait qu'il cherche le dialogue. Il est, comme le disait Aristote, un animal social. Toute sa vie, il cherche l'autre, la communauté dans laquelle il sera reconnu et pourra se mettre à l'abri. Sans ce contact, il connaît la grande tristesse. 
Le thérapeute reconnaît dans ces trois détresses la source des névroses avec lesquelles il a à faire. C'est l'homme qui est toujours plus ou moins angoissé parce qu'il a toujours peur de quelque chose. Ou celui qui n'a pas trouvé un sens à sa vie, qui n'a jamais pu s'affirmer en tant que personnalité. Enfin, c'est l'homme qui a manqué de contacts dans son enfance, il souffre toute sa vie d'un manque de contacts, c'est l'homme plutôt triste. En quoi ces détresses ont-elles à voir avec l'expérience de la transcendance ? Parce que l'homme qui est plongé dans l'une ou l'autre de ces détresses peut, d'un seul coup, se sentir libéré ! Comment cela est-il possible ? Lorsque l'homme fait ce qu'il ne peut pas faire sur le plan du “moi naturel”, accepter l'inacceptable. Il y a quantité d'exemples chez des hommes, des femmes, qui sont au seuil de la mort. L'acceptation de l'inacceptable est un des stades par lesquels passent ceux qui s'approchent de la mort. C'est ce moment où toute angoisse disparaît et un grand calme fait place à l'agitation, à la nervosité. C'est ce moment où la personne est enveloppée par une grande sérénité ; tout est en ordre, il n'y a plus de soucis. Un état d'être qui situe l'homme au-delà de ce qu'on appelle la vie et de ce qu'on appelle la mort. 
Cette expérience peut prendre celui qui doit supporter un accident inattendu, brutal. Pour un moment le prend cet autre état d'être, paradoxal en regard de la réaction du “moi naturel”. Trop souvent une telle expérience ne reste qu'un souvenir étrange. On ne lui donne pas l'intérêt qu'elle mérite. Très souvent on doute de ce qu'on a expérimenté, senti, ressenti en se disant que ce n'est sans doute que subjectif. 
Or, des milliers de personnes ont vécu de tels moments. Lorsque je fais une conférence il y a toujours une personne qui s'approche pour me dire que, à partir des exemples que j'ai donnés, elle se souvient d'une expérience à laquelle elle n'avait jamais donné d'importance ! Il est vrai que nous ne sommes pas éduqués à prendre au sérieux ce que nous sentons. De telles expériences peuvent donner la mesure de toute une vie. Parce que l'horizon du “moi naturel” a été dépassé d'une façon authentique et légitime. Et en tant que sujet nous avons été touchés par une autre réalité, la réalité transcendante. 
De même dans une situation qui vous confronte avec l'absurde. L'homme qui n'a rien fait de répréhensible et qui subit les affres d'une erreur judiciaire est confronté à l'absurde. C'est tout simplement insupportable. Et voilà que si l'homme fait ce que sur le plan du “moi naturel” il ne peut pas faire, accepter l'inacceptable, il vit une expérience qui le met au-delà de l'absurde. Il peut vivre un moment de clarté et au cœur du non-sens existentiel il trouve le sens essentiel ! Cette clarté dépasse la dualité sens et non-sens que nous connaissons sur le plan de notre vie ordinaire.
Dans la confrontation avec la mort, l'homme qui vit l’expérience de ce qui transcende la vie et la mort est immergé dans un état de force. C'est un moment d’ouverture à la force essentielle dans la faiblesse du “moi naturel” existentiel. De cet état de force émane un grand calme.
Dans la confrontation avec l’absurde, l’homme qui vit l’expérience qui transcende le sens et le non-sens est immergé dans un état de lumière. C’est un moment d’ouverture à l’ordre universel dans ce qui représente le non-sens sur le plan de “l'ego”. De cet état de lumière émane une grande sérénité. Se révèle une sagesse qui
dépasse tout savoir humain.
Dans cette situation où on se sent abandonné, peut-être même trahi, il n’y a plus rien, c'est l'isolement total. Ici encore, si l’homme a cette grâce d’accepter sa situation inacceptable, il peut être plongé dans un état d'amour, une sensation d’union avec tout. Il se sent dans un état d’amour, comme il se sentait dans un état de lumière, dans un état de force. De ce contact avec tout émane une profonde joie de vivre.
On ne peut pas envisager une telle expérience sur le plan de la causalité. Ce qu’on peut dire, c’est qu'au  moment même où l'homme abandonne les prérogatives instinctives et rationnelles de son “moi”, il s'ouvre à une puissance transcendante. De cette puissance transcendante s'origine une force transcendante, un ordre transcendant et un amour transcendant. C’est une chose étonnante de s'apercevoir que ces qualités sont celles que l’homme a toujours attribuées à ses dieux dans le polythéisme et à son Dieu dans le monothéisme : la puissance, la sagesse et l’amour. Qualités qui émanent du tréfonds de son être, de son Être essentiel.
p.p. 82 à 86

le coin des citations

le coin des citations - J. Castermane G. Dürckheim.pdf

« Le Centre de l’Être » 
Propos de Karlfried Graf Dürckheim recueillis par Jacques Castermane
 Jacques Castermane Éditions Albin Michel © 1992

 

«   Sur les Routes Spirituelles  » Jacques Castermane (1) – (2) et (3)

https://www.youtube.com/watch?v=MVys_GZseu8




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Il y a trente années donc, nous avons vécu un événement fort et signifiant, “les rencontres de personnes de bonne volonté” pour évoquer les déclinaisons de ce que pouvait évoquer le mot « Paix » pour les uns et les autres, paix de l’esprit, de la conscience, la paix en soi-même, le temps de paix entre les conflits, grands et petits ; lorsque les rivalités exacerbées règnent et que l’esprit de fraternité n’est pas cultivé dans le quotidien… “l’arbre de paix ne peut croître”, mais s’étiole et dépérit.
Ces rencontres sur le haut de la Côte de Jor en Dordogne (commune de Saint-Léon-sur-Vézère) le 24 août 1991* faisaient une suite, certes beaucoup plus modeste et beaucoup moins médiatisée, à celles d’Assise d’octobre 1986, mais dans le même esprit, surtout y intégrant à part entière la “société civile” aux côtés du monde clérical. 

Avons-nous été bien inspirés d’y avoir contribué et d’être là ? Quelque peu “candide” ? Cela reste à voir, nous ne savons pas vraiment … toujours est-il que trois décennies plus tard, alors que probablement peu de référents mémoriels à ce sujet subsistent, il nous est apparu de quelque utilité de remémorer cet événement qui pour notre part restera ancré dans notre humble vie de “citoyen lambda”.

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Dialogues des Herméneutiques du monde, réflexions et « mise en résonance »*, autour des traditions et diverses “perceptions du Réel” (dites scientifiques ou philosophiques)
 
Le siècle qui nous précède a insisté sur « le conflit des herméneutiques** » (cf. Paul Ricoeur 1913-2005). Ce conflit n'est-il pas le point de départ d'un véritable « dialogue des herméneutiques », c'est-à-dire, de nos représentations du monde reconnues  comme “représentation” et non comme “vérité” du monde. 
Comme tout dialogue, celui-ci est conditionné par les différents degrés d'attention ou qualités d'Écoute des interlocuteurs. 
La vision du monde de chacun reflète la qualité et la capacité de son regard et de ses “instruments” de compréhension... 
Ce ne sont pas de[s]ux mondes, de[s]ux religions ou de[s]ux philosophies qui s'affrontent ou qui dialoguent, mais plusieurs niveaux de perception, d'attention, de compréhension, de contemplation ou d'Écoute... 
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* “résonance” n'est pas comparaison, ni jugement, ni exclusion, ni récupération, ni sectarisme, ni syncrétisme, mais “échos” entre de[s]ux humanités reconnues dans leurs différences qui cherchent à se comprendre — prolégomènes (explication préliminaire) — à un dialogue des herméneutiques.  
** étude rigoureuse de l'interprétation des signes et de leurs valeurs symboliquesJ.-Y. Leloup-Milarepa - Copie.jpg
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(extrait “adapté” p. 65 et 67) de « Milarépa, les dits du Mont Kaïlash », 
suivi de
“Les trois voies dans le bouddhisme et le christianisme”
Jean-Yves Leloup
Éditions Almora © 2020

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Si on prend comme exemple, cette réalité qu'on appelle de l'eau, sa “vraie” réalité, est-ce d'être “solide” comme de la glace, “fluide” comme une rivière, “brumeuse” comme une nuée ou un nuage ? Sa “vraie” réalité n'est-ce pas les Pises - Copie.JPGencore l'eau “évaporée” ? Ne subsiste alors que l'insubstantiel, le ciel pur... ? 
Dira-t-on que la vérité relative de l’eau, c'est la glace, la rivière, le nuage.. et que sa vérité absolue c'est le ciel ? 
Ce qui est “vrai” pour de la glace (qui semble solide) ne l'est plus pour la rivière (qui semble fluide) et ne l'est plus pour la nuée (qui ressemble à une vapeur) ... d'où vient “l'eau” ? Où retourne-t-elle, quelle est sa source, quel est son ciel ? Vis turbidité limpide - Copie.jpg
Poursuivant la pensée induite par cette métaphore pourrait-on dire que “la réalité” pour certains semble “solide”, logique, rationnelle, analysable “semble” seulement... la loi de la cause, et de l'effet fonctionne bien à ce niveau de réalité, mais ne fonctionne déjà plus de la même manière à un autre niveau de Conscience ou selon une autre mode de perception, ou la réalité ne nous apparaît plus comme solide (matière), mais comme fluide (énergie)… ? 
À un autre niveau de Conscience ou selon une autre mode de perception, la réalité ne nous apparaîtra plus ni comme solide, ni comme fluide, mais comme “brumeuse” ni comme matière, ni comme fluide, mais comme une pensée ou comme un songe... 
Qu'est-ce qui est le plus Réel ? Dira-t-on que le plus Réel, c'est lorsque la Réalité n'est plus perçue ni comme solide, fluide ou DSCF2593.JPGvaporeuse, mais comme “évaporée” ou comme “vide” ? 
C'est ce qu'auront tendance à penser les traditions contemplatives ou gnostiques des diverses religions du monde ; il en résultera des conséquences éthiques et pratiques dans la transmission des doctrines et des rites de chacune de ces religions. 
Par exemple, “la loi du Karma”, ou loi de la cause et de l'effet qui entraîne la croyance en la réincarnation ou dans la juste rétribution de nos actes dans un monde intermédiaire (purgatoire, ciel ou enfer). Cette loi n'est plus vraie à un autre niveau de réalité appréhendé par un autre niveau de conscience ou une autre mode de perception, ce serait mettre des limites à “l'infinie miséricorde” d'un « Absolu » considéré comme « Pur Amour » et infinie compassion. Ce qui est vrai à un moment de notre évolution et des connaissances que nous avons à ce moment ne l'est plus à un autre moment. Notre perception et notre conscience ont changées, la réalité ne nous semble plus la même ; ou ne peut plus croire à ce que l'on croyait fermement auparavant. La réincarnation nous apparaît alors comme une explication dépendante d'une conscience et d'une logique particulière. 
Les sages réalisés (Jivan Mukta) ne peuvent plus croire à la “réincarnation”*, ils sont entrés dans un autre plan de conscience ou un autre niveau de réalité où la loi de la cause et de l'effet ne fonctionne plus — cela ne veut pas dire qu'ils la nient, ils en reconnaissent au contraire la nécessité à un certain niveau du développement spirituel où la conscience morale et le sens de la responsabilité doivent être éveillés : on ne peut pas faire n'importe quoi, tout ce que l'on fait a des conséquences, dans cette vie ou dans une autre, c'est l'affirmation qu'il existe une justice et “qu'on récolte ce qu'on sème”. 
Cette justice immanente peut être mise en scène sous forme de « jugement dernier » ou de “réincarnation”. C'est le même niveau de réalité, la même vérité exprimée différemment, mais est-ce là “toute” la vérité ? DSC_0471.JPG
Leur témoignage affirme un état de conscience, un niveau de réalité, “libre” à l'égard de ces lois. Lorsqu'on l'interrogeait à propos de ses “vies futures” et du lieu où il devait se rendre après sa mort, Ramona Maharshi répondait « Je vais là où “Je Suis” depuis toujours ». Il ne s'embarrassait ni de spéculation sur les mondes intermédiaires, ni de soucis concernant sa prochaine incarnation. 
D'où lui serait venu ce souci ? D'un ego sans doute, qui demande à “subsister” non seulement dans cette vie, mais encore et encore dans des vies à venir. 
Pour celui qui a fait l'expérience de l'insubstantialité de l'ego, d'où pourrait lui venir ce souci ? D'où pourrait lui venir une question comme celle de la réincarnation ? Elle ne se pose plus, il demeure simplement là où est l'Espace, dans le “ciel” intérieur et extérieur... Là où est « Je Suis », quand toute vision solide, fluide, brumeuse, de soi-même se sont “évaporées” et que l'essence du “Je”, comme l'essence de l'eau s'est révélée dans son insusbtantialité qui contient tout. 
Chacun habite une certaine vision du monde et essaye parfois de faire de cette habitation et de cette vision, une philosophie, une religion, une morale ou une politique qu'il veut partager avec autrui et cela est bon... si cette habitation ne s'impose pas comme la norme et si cette vision ne s'impose pas comme la vérité, le dialogue des herméneutiques est alors en marche. Les visions “solides” de la Réalité (matérialistes) peuvent dialoguer avec les visions “fluides” ou “flous” de la Réalité (physique quantique), mais aussi avec les visions “imagées”, “songeuses”, “brumeuses”, parfois des poètes, des religieux et autres explorateurs de l'inconscient, quant à la vision “vide” ou “évaporée” du Réel, telle que l'expérimente les mystiques, les sages et les gnostiques on les accusera sans doute d'habiter un “arrière monde” alors qu'ils habitent l'essence même du monde, son DSC_7152.JPG“insubstantialité” que les instruments les plus scientifiques et les modes de perceptions ou de fonctionnement les plus élaborées du cerveau commencent à pressentir. 
Ils habitent l'Espace invincible, le Silence immaculé, qu'aucun concept, aucun “moustique”  n'arrivera jamais à “piquer”. C'est un “coup dur” pour tout ce qui fut imaginé comme “solide” !
On a eu raison de dire que “l'air des sommets est irrespirable”, quelle “cage” thoracique pourrait le contenir ? “On ne peut pas voir Dieu sans mourir”, sans mourir à un certain mode limité de perception et de représentation du Réel — seul l'infini peut connaître — seul l'Espace insubstantiel ...
pages 114 à 118
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« Milarèpa, Les dits du Mont Kailash », jean-Yves Leloup - Éditions Almora © 2020
“Les trois voies dans le bouddhisme et le christianisme”

https://www.babelio.com/livres/Leloup-Milarepa-les-dits-du-mont-Kailash-Les-trois-voie/1264450/critiques/3467802

J.-Y. Leloup Milarepa - Citations.pdf

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* ... Milà : « Je n’ai jamais eu nouvelle de qui j’incarnerais. Quand même j’incarnerais les trois enfers, vous devez partout voir en moi le Porte-Sceptre et les autres Bodhisattvas, et recevoir leur bénédiction avec dévotion. Cette croyance que je suis une incarnation est une bonne opinion de ma personne. Mais il n’est pas plus grande hérésie que cette croyance. C’est parce que vous ne connaissez pas les effets de ma doctrine. D’abord la loi est si vaste que quiconque eût été un grand pécheur comme je le fus dans ma jeunesse, et ayant ensuite cru aux causes et aux effets, eût renoncé au monde et eût médité dans la paix de son corps, de sa parole et de sa pensée, ne serait pas éloigné d’atteindre la Bodhi.
Mais plus particulièrement, si on a pu méditer sous la direction d’un Lama marqué de la sainteté après en avoir obtenu les formules et le pouvoir d’expliquer sans les obscurcir d’idées préconçues, mais jusqu’à les voir à nu, le sens réel et l’enseignement du plus court chemin des formules secrètes, alors on ne doutera plus si on sera Buddha ou non dans cette vie. »
p. 222
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un extrait de « MILAREPA » - éditions Fayard ©1971 (traduction de Jacques Bacot)

https://www.babelio.com/livres/Milarepa-Milarepa-ses-mefaits-ses-epreuves-son-illumination/290646/critiques/748648

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LES 12 CLIMATS CORPORELS selon Jean Yves Leloup ...
(très beau texte à vivre !)

https://www.facebook.com/jean.yves.leloup.officiel/posts/pfbid02Uegh1VPLS8ubABex94vsvGBmZi2AGnMDRzSrmHjegCkRNPA69jbyxJFrw7Jg4BsGl

https://hridayartha.blogspot.com/2024/02/il-suffit-de-passer-le-pont.html

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STRATÉGIE DE SURVIE , ENCORE ET TOUJOURS (extrait du "carnet")
Un homme que j’accompagne depuis plus de vingt ans me
parle de ce qu’il observe de sa « stratégie de survie » telle qu’elle se manifeste sur le vif, à travers des réactions intérieures et extérieures. 
Ce qu’il y a de remarquable avec cette fameuse stratégie de survie, c’est qu’elle peut s’énoncer en quelques phrases, lesquelles n’auront rien d’extraordinaire pour un auditeur non averti, et qu’elle ne bouge pas au fil des années, des décennies, de l’existence toute entière. 
Elle ne se modifie en rien. Ce que cet homme perçoit maintenant avec tant d’acuité était là il y a vingt ans. De fait, nous l’avons déjà abordé ensemble à maintes reprises, et presque dans les mêmes termes. 
Ce qui change, ce n’est pas la stratégie c’est sa conscience à lui du degré auquel cette stratégie le manipule. 
En pratique, cette stratégie n’est rien d’autre que l’ego et le mental au niveau du noyau, la façon dont l’ego et le mental se sont cristallisés chez cette personne particulière. C’est précisément pourquoi la prétention à émerger du principe ego est naïve.
 L’ego n’est pas un principe, c’est chez chacun de nous un fonctionnement certes régi par des lois impersonnelles s’appliquant à tous (l’ego-centrisme) mais qui s’articule de manière quasi unique chez chacun. 
Voilà aussi pourquoi la distinction entre psychologie et spiritualité s’avère au final artificielle. 
Il y a bien un « niveau spirituel » à distinguer du « niveau psychologique ». 
Mais dès lors qu’il s’agit de « Travail » de  « liberté », les deux s’interpénètrent continuellement. 
Oui, le niveau spirituel en lui même n’est pas affecté par le niveau psychologique ; oui ce niveau spirituel est en lui même radicalement libre, non dépendant, non inscrit dans le temps, l’espace, l’histoire … 
Et l’erreur fatale consiste à croire, encore une fois naïvement si on y réfléchit ,qu’une forme humaine (donc une personne) pourra en tant que forme fonctionner dans le monde des formes à partir de ce niveau spirituel sans que quoi que ce soit de la forme interfère et colore.
Erreur qui amène à considérer (ce qui est bien pratique) que l’ « éveil » se passe de tout contexte et donc à négliger, même pas le travail « psychologique » mais tout simplement … le « Travail », le travail sur cette matière humaine à travers laquelle le niveau spirituel va s’exprimer, se manifester. 
Cette négligence conduit à tous les abus, à toutes les illusions, à toutes les « chutes » malheureusement si fréquentes dorénavant chez nombre d’enseignants se voulant « éveillés ». Ils ont négligé le contexte, voire utilisé  « l’éveil » comme un alibi pour s’économiser le « travail ». Dangereuse négligence à moyen terme. 
J’ai relu récemment des notes prises il y a quelques années à propos de ma propre « stratégie de survie ».  Et j’ai été frappé de constater comment tout était déjà clairement articulé dans ces notes. Et comment, pourtant, il m’est nécessaire d’y revenir, encore et encore, tant qu’il en reste ne serait ce que des bribes actives. 
En vérité, sur la voie, on ne fait que tourner autour du noyau, en cercles concentriques. On tourne autour, on s’en rapproche. Plus on s’en rapproche plus c’est « chaud ». Jusqu’à traverser le dit noyau. Le trou de l’aiguille. Voir le traverser plusieurs fois car il a la vie dure. 
C’est cela « le travail ». Combien de personnes pourtant sincèrement touchées par « la voie » ne le soupçonnent pas encore ? Et ce travail se situe tellement à l’opposé des fascinations actuelles pour l’immédiat, la soi disant approche « directe ». Comme si il existait des approches "indirectes" empruntées par quantité de pauvres gens tenant absolument à perdre leur temps ...

“Le coin des citations” - « L’Art de Voir » “Lettres à ses disciples”, Swàmi Prajnànpad
Éditions L’Originel © 1988

« L’Art de Voir » “Lettres à ses disciples” - Cit.pdf

Capture d’écran 2023-05-04 reniement.jpg

https://www.facebook.com/ecrivaingillesfarcet

... et puis il y a l'échec "d'une vie spirituelle", plus ou moins flagrant en particulier dans sa toxicité, dont on fait l'impasse, que l'on passe sous-silence, car cela n'est pas bon pour le "business sacré" !

https://www.babelio.com/livres/Farcet-Manuel-de-lanti-sagesse--Traite-de-lechec-sur-l/241359/critiques/3354234

... le coin des citations :

- Citations - .pdf

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et au final ... reste la continuité de "l'espoir" insondable !

https://fr.wikipedia.org/wiki/Tant_qu%27il_y_a_de_la_guerre,_il_y_a_de_l%27espoir

 

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* 1991 - Année internationale du Tibet

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 4 mars 2024 :

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« ECHOES FROM FORGOTTEN MOUNTAINS : TIBET IN WAR AND PEACE »
Jamyang Norbu

https://www.phayul.com/2024/03/04/49884/

 

 

 

Nous nous bornerons mettre à disposition en audio le compte rendu des divers intervenants de cette journée. (1) 
Une journee pour la Paix - Copie.jpg

Interventions - Dalaï Lama, Noël Copin, Chân Không, Myriam Lessager et bien d'autres ...

 

Intervention de l'évêque Jacques Gaillot, à la Côte de Jor, août 1991

 in memoria

 Jacques Gaillot  (1935 - avril 2023) prélat catholique français, évêque d'Évreux de 1982 jusqu'à la décharge de ses fonctions en 1995, en raison de ses prises de position contraires au magistère de l'Église catholique et considérées comme allant au-delà de la réserve demandée aux membres du clergé.        

Suite des interventions à la Côte de Jor, août 1991

 

   https://hridayartha.blogspot.com/2024/05/le-christ-comme-sad-guru.html

... et au-delà des “discours et sermons” 

 « (“le fou de Dacca” chantait) »… des chants dévotionnels et mendiait sa nourriture dans la rue. Un jour, ce “fou” se mit tout à coup à pleurer devant lui à chaudes larmes en gémissant : « Que va-t-il m'arriver ? Je parle comme un pandit (lettré) savant mais j'agis comme un démon. » Ces paroles firent une forte impression à Yogeshvar, « comme si quelqu'un [lui] avait donné un coup dans la poitrine ». Les personnes qui assistaient à la scène ne remarquèrent rien de notable et continuèrent à se moquer du pauvre homme. Mais Yogeshvar, lui, fut bouleversé : ce “fou”, dans un éclair de lucidité, avait réalisé à la fois sa condition et l'impossibilité d'en sortir. En quelques mots, il avait résumé non seulement son propre état pathétique mais celui de la condition humaine en général : parler noblement, et agir n'importe comment. Et Yogeshvar le prit au premier chef pour lui : « Qu'est-ce que je fais moi-même ? Est-ce que je ne parle pas comme un pandit savant ? Est-ce que je ne continue pas à agir comme un démon ? Avant d'agir, est-ce que je réfléchis pour savoir si j'agis en fonction de ce que je dis ? Non, non. » 
Cette prise de conscience fut radicale et il en tira une conclusion tout aussi radicale : à partir de ce jour, si son discours n'était pas en cohérence avec son expérience et son comportement, il cesserait de parler : « Avant de prononcer un seul mot, je dois voir si moi-même je suis capable d'agir selon ce que je dis. Si je n'en suis pas capable, je n'ai aucun droit d'enseigner. Je n'ai aucun droit d'enseigner sans faire d'abord ma propre expérience. Ma bouche doit rester close. »  
On reconnaît bien dans cet épisode le caractère entier de Yogeshvar : une capacité à se remettre en cause radicalement, à tirer la leçon d'un événement apparemment anodin, à prendre une décision cohérente avec cette prise de conscience et à s'y tenir.
p. 49 – 50
« Vivre » “La guérison spirituelle selon Swàmi Prajnànpad” - Emmanuel Desjardins 
Éditions du Relié © 2019 le coin des citations....pdf

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https://hridayartha.blogspot.com/2023/10/feudalism-samaya-and-living-in-tube.html

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(1)  Nous avons déjà en effet consacré un article sur ce blog à ce sujet : http://camisard.hautetfort.com/archive/2008/03/24/kouchner-d-l-abbe-p-dordogne-aout-91.html

 

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Paris 10 mars 1993 (Place du Trocadéro)

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Paris 10 mars 1993 (face à l'Ambassade de Chine - Hôtel du Rouvre, Rue Washington )

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Jamyang Norbu - .jpgPour le reste, aujourd’hui nous joignons la traduction d’un article récent d’un interview de l’écrivain tibétain en exil Jamyang Norbu, son contenu et le propos nous étant apparu comme opportun et pertinent :

 

Défendre « le Toit du monde » … 
La quête perpétuelle de Jamyang Norbu pour l'indépendance du Tibet
(par Judith Hertog -  juin 2021)


L'écrivain et militant tibétain Jamyang Norbu a la réputation d'être un fauteur de troubles. Il a été l'une des rares voix de la communauté tibétaine en exil à critiquer publiquement le quatorzième dalaï-lama, le chef spirituel et politique profondément vénéré du Tibet, qui a fui en exil en 1959. Norbu reproche au dalaï-lama sa volonté de donner la souveraineté tibétaine au gouvernement chinois, qui contrôle le Tibet depuis 1950. Norbu critique également les stéréotypes occidentaux selon lesquels le Tibet est une terre de pureté et de sagesse d'un autre monde, arguant que cela réduit sa patrie à un endroit qui existe pour les besoins spirituels de l'Occident consommateurs. Et il condamne les Occidentaux qui vantent la culture et la religion tibétaines comme idéales tout en ignorant la souffrance du peuple tibétain actuel.
La vision de Norbu pour l'avenir du Tibet n'est pas un pays imaginaire bouddhiste mais une démocratie moderne. Pour faire avancer cette vision, il défend la culture tibétaine laïque et promeut l'indépendance du pays. Il a été directeur de l'Institut tibétain des arts du spectacle à Dharamsala, en Inde ; un directeur fondateur de l'Institut Amnye Machen, et rédacteur en chef d'un journal tibétain indépendant. Norbu a également été un écrivain prolifique de pièces de théâtre, de journalisme et de nouvelles. Son roman policier, The Mandala of Sherlock Holmes, qui raconte les aventures fictives du détective du XIXe siècle au Tibet, a remporté le prestigieux Crossword Book Award en Inde. Le dernier livre de Norbu, Echoes from Forgotten Mountains : « A Literary Journey into Memories of Tibet », devrait être publié à la fin de cette année. Bien que son franc-parler ait fait de lui une figure controversée, il lui a également valu de nombreux lecteurs fidèles de son blog politique, Shadow Tibet (jamyangnorbu.com).
Norbu a passé la première année et demie de sa vie au Tibet avant que sa famille ne déménage à Darjeeling, en Inde, en octobre 1950. L'armée chinoise avait récemment occupé les régions frontalières du Tibet et menaçait de marcher sur Lhassa, la capitale. Le gouvernement tibétain, dirigé à l'époque par le Dalaï Lama de quinze ans, n'a pas pu défier les puissantes forces chinoises et, sous la contrainte, il a signé un accord acceptant la souveraineté chinoise sur le Tibet. En 1959, alors que le régime communiste chinois devenait de plus en plus oppressif, un soulèvement éclata à Lhassa. Au milieu de la violence, le Dalaï Lama et de nombreux autres Tibétains, y compris la plupart des membres du gouvernement, se sont enfuis en Inde, où ils ont établi un gouvernement tibétain en exil à Dharamsala. Aujourd'hui, environ 150 000 Tibétains vivent en Inde et ailleurs, tandis qu'environ 6 millions restent au Tibet sous domination chinoise.
À dix-neuf ans, Norbu rejoint les guérilleros tibétains qui, avec l'aide de la CIA, combattent les Chinois depuis des bases du nord du Népal. Lorsque la CIA a mis fin à son soutien à la guérilla au début des années 1970, Norbu a déménagé à Dharamsala et est devenu militant et écrivain. En 1995, en raison de harcèlement et de menaces, il a décidé de quitter Dharamsala et est venu aux États-Unis, où il continue d'écrire sur le Tibet.
Bien que Norbu critique la politique de réconciliation du Dalaï Lama envers la Chine, il a également décrit le chef spirituelJamyang Norbu - D.-L .jpg comme le "symbole vivant de l'espoir tibétain de liberté". En 2018, Norbu a eu une audience privée d'une heure avec le Dalaï Lama, qui l'a remercié pour son engagement en faveur de la cause tibétaine. Bien que le Dalaï Lama ait clairement indiqué qu'il croyait que la seule voie à suivre pour le Tibet était de négocier avec la Chine, il a également exhorté Norbu à poursuivre son travail et a accepté de bénir tous les militants indépendantistes tibétains.

Norbu m'a parlé fin 2020 via un chat vidéo depuis son domicile dans le Tennessee, où il était assis dans un bureau rempli de livres. Il allait faire bientôt ses valises pour le déménagement de sa famille à New York.

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Hertog : Le titre de votre blog est Shadow Tibet, et vous avez également une collection d'essais portant ce nom. Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?
Norbu : C'est le Tibet sur lequel j'essaie d'écrire, pas le Tibet de l'imagination occidentale – les hauts plateaux ensoleillés de l'Himalaya, baignés de la splendeur d'Hollywood – mais le Tibet sombre, où les gens souffrent ; où les gens sont traumatisés et confus ; où les gens luttent pour porter leurs idéaux ; où les gens vont dans les prisons chinoises, et où 164 Tibétains se sont immolés par le feu en signe de protestation. J'essaie d'être le porte-parole de ce Tibet.

Hertog : Quelle est la situation au Tibet maintenant ? Avez-vous des nouvelles de là-bas ?
Norbu : J'ai quelques contacts qui me tiennent au courant, mais les autorités chinoises sévissent vraiment. Les communications numériques sont surveillées et la surveillance est devenue globale. Depuis quelques années, il est presque impossible de communiquer. Beaucoup de gens que je connais ont perdu contact avec des membres de leur famille au Tibet. Je n'ai pas pu parler à mes tantes et à mon cousin qui vivent à Lhassa.
Il y a eu beaucoup de choses dans les médias occidentaux sur le sort des Ouïghours [une minorité ethnique majoritairement musulmane – NDLR] au Xinjiang, mais la situation au Tibet est tout aussi mauvaise. En fait, le secrétaire du Parti communiste responsable du système de surveillance qui opprime les Ouïghours était à l'origine le secrétaire du Parti du Tibet. Il y a développé et testé ses stratégies de surveillance.
Les Tibétains n'ont aucune liberté de mouvement. Il y a des caméras avec un logiciel de reconnaissance faciale partout. Les communications téléphoniques des personnes sont surveillées. À Lhassa, il y a des points de contrôle tous les quelques centaines de mètres où les Tibétains doivent montrer leurs papiers et sont soumis à des fouilles. Mais les touristes chinois qui visitent Lhassa peuvent se déplacer librement, ils pensent donc que le Tibet est un endroit merveilleux.
Au cours de la dernière décennie, de nombreux Tibétains ont traversé le col glacé de Nangpa La jusqu'au Népal, mais maintenant la frontière est surveillée par des satellites et des drones, et certains pris en train d'essayer de s'échapper ont été abattus. Si les réfugiés tibétains parviennent à traverser, le gouvernement népalais a signé un accord avec la Chine pour les remettre aux autorités chinoises.
Il y a un long et lent génocide en cours au Tibet. Le gouvernement chinois sait que, tant que la langue et la culture tibétaines resteront vivantes, les Tibétains résisteront à l'adhésion à la Chine. Les autorités tentent donc systématiquement d'effacer la culture et l'identité tibétaines. Les Tibétains sont découragés de pratiquer leur religion. Il y a des caméras et des postes de contrôle dans les temples pour surveiller qui vient prier, et les monastères ont été transformés en camps de rééducation où les moines doivent étudier l'idéologie du Parti communiste au lieu du bouddhisme. La langue tibétaine est remplacée par le chinois dans les écoles, et les enfants tibétains les plus brillants sont envoyés dans des internats en Chine, où ils sont immergés dans la culture chinoise. Les Tibétains ne peuvent pas faire grand-chose à ce sujet, car si vous ne parlez pas chinois, vous ne pouvez pas trouver de travail ou de fonction dans la société tibétaine. La jeune génération y parle maintenant mieux le chinois que le tibétain. De nombreux jeunes Tibétains ne savent ni lire ni écrire leur langue maternelle. Les autorités répriment toute tentative de promouvoir l'enseignement de la langue et de la culture tibétaines. Pendant ce temps, de plus en plus d'immigrants chinois sont encouragés à s'installer au Tibet. Dans la région de Lhassa, je pense qu'il y a maintenant plus de résidents chinois que de Tibétains. En quelques générations, le Tibet pourrait être complètement absorbé dans la culture chinoise.
Hertog : À l'automne 2020, des manifestations populaires ont éclaté en Mongolie intérieure [une région ethnique de la République populaire de Chine – NDLR] après que le gouvernement chinois a tenté d'éliminer l'enseignement en mongol dans les écoles publiques. Pensez-vous que la même chose pourrait se produire au Tibet ?
Norbu : De telles manifestations contre la langue ont éclaté dans toute la région d'Amdo au Tibet en 2010. Le président chinois Xi Jinping a une politique nationaliste intransigeante pour forcer tout le monde dans le pays à s'assimiler à la culture chinoise, mais les gens ont un lien émotionnel avec leur langue maternelle. Et ce n'est pas seulement le cas des Mongols et des Tibétains. Il y a eu des manifestations à Guangzhou en 2010 lorsque le gouvernement a tenté de forcer les chaînes de télévision locales à diffuser en mandarin au lieu du cantonais. Si Xi Jinping réussit à imposer ces politiques en utilisant la pure oppression, alors la démocratie et la liberté au Tibet sont vouées à l'échec. Mais les gens ne peuvent être poussés que jusqu'à un certain point. À un moment donné, ils peuvent descendre dans la rue, comme ils l'ont fait en Mongolie intérieure.
Hertog : Vous avez critiqué l'idéalisation occidentale du Tibet, qualifiant même l'attirance pour le bouddhisme tibétain de « colonialisme New Age ». Que veux-tu dire par là ?
Norbu : Les Occidentaux supposent – ce n'est jamais dit mais toujours sous-entendu – que le monde tourne autour d'eux et que les religions et les cultures orientales existent juste pour qu'ils les découvrent. À l'époque où je vivais à Dharamsala, mes amis hippies occidentaux me disaient que la destruction au Tibet était très tragique, oui, mais l'invasion chinoise avait également servi le merveilleux objectif d'amener le dharma en Occident. Ils récitaient cette vieille prophétie : « Quand l'oiseau de fer s'envolera, le dharma viendra en Occident. [Certains interprètent cela comme signifiant que le bouddhisme se répandrait en Occident après l'invention de l'avion. — Ed.] C'était exaspérant. Ces gens ne savaient rien du bouddhisme, mais ils connaissaient cette prophétie. Je trouve extrêmement frustrant que des Occidentaux agissent comme si la religion et la culture tibétaines n'existaient que pour leurs besoins.
Une partie de cette appropriation culturelle s'exprime de manière naïve. Je me souviens d'un couple de hippies occidentaux se promenant dans Dharamsala vêtus de vêtements de paysans tibétains. Ils n'avaient aucune idée à quel point ils avaient l'air comiques. Ce genre d'appropriation naïve est inoffensif. Les gens qui mettent des drapeaux de prière tibétains ou qui achètent des bols chantants « tibétains » – qui ne sont en fait pas du tout tibétains – sont idiots, mais je le comprends. C'est une impulsion commune pour idéaliser une autre culture. Ce qui me dérange vraiment, ce sont les gens qui utilisent le bouddhisme tibétain à leur propre profit, qui s'approprient cette aura de super-pouvoirs mystiques associés aux lamas pour se promouvoir.
Ensuite, il y a des Occidentaux qui ont étudié le bouddhisme tibétain mais qui veulent le dépouiller de tout contexte et tradition et promouvoir une version sélective et aseptisée du bouddhisme qui plaît au public occidental. Apparemment, ils pensent que le bouddhisme tibétain traditionnel est trop primitif et superstitieux, alors ils le reconditionnent en « bouddhisme laïc ». Ils transforment la méditation en un remède contre l'anxiété et la dépression ou un moyen d'améliorer les performances de votre entreprise. Lorsque le Bouddha a enseigné la méditation de pleine conscience, il l'a conçue comme une pratique spirituelle pour atteindre l'illumination, et non comme un outil pour vous aider à faire face à la vie quotidienne. Vous ne pouvez pas utiliser la méditation de pleine conscience bouddhiste comme vous le feriez avec une aspirine pour résoudre un mal de tête. La dépression et l'anxiété sont des symptômes de la plus grande maladie dont nous souffrons tous, qui est le samsara [le cycle de souffrance auquel, selon le bouddhisme, tous les êtres vivants sont liés comme condition d'existence - Ed.].
Si vous enseignez des idées bouddhistes tout en ignorant les enseignements de Bouddha, vous abusez du bouddhisme. Bien sûr, tous les bouddhistes occidentaux ne sont pas fautifs – certains sont sérieux et bien informés – mais ceux qui essaient de vendre le bouddhisme en le reconditionnant pour la consommation occidentale le rabaissent.
Hertog : Au cours de sa longue histoire, le bouddhisme s'est propagé d'un endroit à l'autre, et il a toujours changé dans le processus. Les Tibétains ont reçu le bouddhisme de l'Inde il y a plusieurs siècles et l'ont adapté à leur propre culture. En quoi la version occidentale est-elle différente ?
Norbu : C'est vrai, le bouddhisme est venu au Tibet, originaire de l'Inde, et au fil des siècles les Tibétains l'ont changé. Mais ce que font ces Occidentaux est différent, car le rapport de force est inégal. Ils ont cette attitude de droiture morale, mais leurs objectifs sont égoïstes. Il est faux de s'approprier la religion d'une autre culture et de l'utiliser hors de son contexte à ses propres fins tout en ignorant la source. Bien sûr, les vieilles institutions bouddhistes ont leurs défauts – je suis le premier à les signaler – mais ce sont ces institutions qui ont maintenu le bouddhisme en vie pendant tant de siècles. Nous leur devons énormément de gratitude et de respect.
Hertog :  les Occidentaux se sont également appropriés l'image du Tibet, pour ajouter une aura de spiritualité à la marchandise.
Norbu : Oui, cela déprécie notre culture, mais je ne veux pas être trop pointilleux sur les articles vendus sur les sites Web et le dharma dans les magasins New-Age, les bols chantants, les drapeaux de prière, etc. Même si cela n'a rien à voir avec la culture tibétaine, cela peut aider à faire vivre individuellement des Tibétains. Donc ne contestez pas cela. En fait, ce n'est pas nouveau. À l'époque victorienne également, les Occidentaux s'intéressaient aux artefacts tibétains. Les touristes occidentaux venaient à Darjeeling, où les commerçants tibétains leur vendaient les tambours crâniens, les chapelets et les poignards. [L'écrivain anglais] Rudyard Kipling décrit cela. Il y avait un commerce de photographies du Tibet, dont beaucoup étaient mises en scène.
Hertog : Pourquoi le Tibet a-t-il une telle emprise sur l'imaginaire de certains occidentaux ?
Norbu : Le premier facteur est l'emplacement. Nous sommes sur le Toit du Monde et avons des paysages vraiment spectaculaires. Ainsi, la terre elle-même est visuellement et artistiquement attrayante. Un autre facteur est que le Tibet est l'une des rares nations orientales jamais colonisées ou contrôlées par l'Occident. Il y a donc un sentiment que le Tibet est plus pur et vierge que d'autres endroits. De plus, pendant une grande partie des XIXe et XXe siècles, le Tibet était inaccessible aux Occidentaux, ce qui ajoutait à la mystique. Lorsque l'occultisme est devenu populaire dans l'Angleterre victorienne, le Tibet est devenu un lieu d'émerveillement, où les anciens mystères étaient préservés. Le roman Lost Horizon de James Hilton de 1933 décrit “Shangri-La”, une terre tibétaine cachée qui existe en dehors du temps. Le livre était un énorme best-seller et a été transformé en film en 1937.
Hilton a écrit Horizon perdu pendant la Grande Dépression, quand Hitler était en plein essor en Allemagne. Il est logique qu'il ait imaginé un endroit dans le monde où cette folie n'existait pas et où les gens pourraient vivre en paix et en liberté. Je ne lui reproche pas d'avoir fait du Tibet un idéal. Lost Horizon est une histoire merveilleuse. Je pense en fait que les Tibétains devraient revendiquer Shangri-La comme faisant partie de notre culture et de notre patrimoine. Je veux y croire moi-même.
Hertog : Vous voulez dire vous, trop long pour être une version idéalisée du Tibet ?
Norbu : Ne cherchons-nous pas tous quelque chose comme ça ? En fait, il existe une croyance populaire selon laquelle le Tibétain a peut-être inspiré le Shangri-La de Hilton. Les Tibétains croient en l'existence de vallées secrètes beyul dans le paysage tibétain qui peuvent s'ouvrir en temps de crise pour permettre aux fidèles d'y trouver refuge. On dit que ces vallées cachées sacrées ont été créées par le maître bouddhiste indien du VIIIe siècle Padmasambhava, qui a introduit le bouddhisme au Tibet et a prévu un avenir dans lequel les Tibétains devraient se cacher de la guerre et de la persécution.
Ce qui est étrange, c'est qu'il y a vraiment des endroits comme celui-ci dans le paysage tibétain. Quand j'étais adolescent dans les années 1960, j'ai rejoint la résistance tibétaine. Un jour, je chevauchais avec mes amis dans la vallée du Mustang à la frontière du Tibet et du Népal, et ils m'ont montré une fissure dans le flanc d'une montagne qui menait à un canyon étroit, qui s'ouvrait sur une vallée cachée où ils avaient un belle ferme avec pêchers et cultures. C'était l'un des camps où se cachaient les résistants.
Hertog : Les Occidentaux ont longtemps dépeint le Tibet en termes élogieux. Lorsque le Dalaï Lama s'est échappé du Tibet en 1959, une couverture du magazine Time l'a décrit comme le dieu-roi d'un pays serein et mystique. Cela a-t-il été bénéfique pour la représentation occidentale du Tibet, les exilés tibétains ?
Norbu : Je pense que cela nous a en fait affecté négativement. Exilés tibétains, la société se sent obligée de se conformer aux attentes des Occidentaux. Bien sûr, nous ne pouvons pas simplement blâmer l'Occident, mais il a une influence et un pouvoir démesurés. Il y a moins de deux cent mille Tibétains en exil. Ils sont très pauvres et l'argent joue un grand rôle dans la façon dont les gens prennent des décisions. Quand il est devenu évident que les Occidentaux s'intéressaient au bouddhisme, il y a eu cette ruée vers l'ouverture de centres du dharma pour les disciples occidentaux. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de très bons centres du dharma -– beaucoup de Geshes [moines qui ont obtenu un diplôme en théologie monastique bouddhiste – NDLR] qui enseignaient aux Occidentaux étaient très instruits – mais cela signifiait que les ressources étaient détournées de la communauté tibétaine.
Je ne veux pas blâmer Sa Sainteté [le Dalaï Lama]. Sa première formation politique fut communiste. En 1954, il a fait une tournée en Chine, que Mao Zedong [président et fondateur de la République populaire de Chine] a utilisée pour impressionner le très jeune Dalaï Lama. Je pense qu'il croit toujours que le gouvernement chinois veut essentiellement ce qu'il y a de mieux pour le peuple tibétain.
La non-violence est un concept important mais pas central dans le bouddhisme tibétain, le Dalaï Lama en a pourtant fait le cœur de son enseignement car cela séduit les Occidentaux. Les dirigeants tibétains réécrivent même l'histoire pour coller aux stéréotypes occidentaux. Le Tibet n'a jamais été une terre de paix et de sérénité, mais ils le présentent ainsi, car c'est ce que les Occidentaux veulent entendre. Cette idéalisation de la culture tibétaine détourne l'attention des vrais problèmes de vie ou de mort. 
Au lieu d'idéaliser le bouddhisme tibétain pour les Occidentaux, nous devrions discuter de ce qui se passe en Chine, qui devient de plus en plus autoritaire. Cela affecte non seulement les Tibétains, mais aussi les Ouïghours du Xinjiang, les résidents de Hong Kong et toute personne en Chine qui fait obstacle au régime actuel. Nous, Tibétains, avons une expérience directe de l'oppression du gouvernement chinois, et c'est ce que nous devrions communiquer au monde – cela et le génocide qui est en train d'être perpétré sur le plateau tibétain et au Xinjiang.
L'idolâtrie occidentale de tout ce qui est “traditionnel ” a également faussé la vision des Tibétains de la culture occidentale. Les Tibétains ont tellement entendu parler de la supériorité supposée du bouddhisme tibétain qu'ils s'intéressent peu à l'apprentissage occidental. L'idéalisation occidentale de l'ancien Tibet a encouragé les Tibétains à adopter la pensée conservatrice traditionnelle tout en rejetant la pensée critique. La communauté tibétaine en exil aurait dû développer des institutions démocratiques et une vision démocratique, mais au lieu de cela, notre société est devenue plus conservatrice et davantage axée sur le culte du Dalaï Lama. Nous sommes devenus une société sans discussion, car tout ce que le Dalaï Lama dit est le dernier mot. J'ai même eu des Occidentaux qui m'ont dit que les Tibétains n'avaient pas besoin de démocratie parce que c'est tellement mieux d'être gouverné par un “roi philosophe”, comme le Dalaï Lama.
Bien que je respecte Sa Sainteté, ce culte de la personnalité est simpliste et nuisible. Je ne pense même pas que ce soit très bouddhiste.
Hertog : Existe-t-il des liens entre la consommation américaine de produits chinois et l'oppression chinoise du Tibet ?
Norbu : Bien sûr qu'il y en a. Dans les années 1990, des politiciens comme le président Bill Clinton ne voulaient pas s'attaquer au problème du Tibet, car il empêchait l'établissement de relations commerciales solides avec le gouvernement chinois. Ils avaient proposé cette théorie selon laquelle de meilleures relations commerciales entre les États-Unis et la Chine conduiraient à la démocratisation de la Chine. Avant cela, dans les années 1980, il y avait un boycott assez efficace contre les produits fabriqués en Chine, et l'Occident était plus favorable à la cause tibétaine. Il y avait alors beaucoup de pression sur la Chine pour améliorer son bilan en matière de droits de l'homme. À cette époque, la Chine devait encore chaque année présenter une nouvelle demande pour le statut de nation la plus favorisée, et chaque année, la question tibétaine était soulevée au Congrès au cours de ce débat. Mais l'administration Clinton voulait donner à la Chine le statut permanent de nation la plus favorisée. Puis, en 2001, l'administration Bush a coupé tout lien entre ce statut et le bilan de la Chine en matière de droits de l'homme. Une fois cela arrivé, le gouvernement chinois pourrait agir en toute impunité parce qu'il savait que l'Occident se souciait plus des intérêts commerciaux que des droits de l'homme.
Maintenant, la Chine est devenue le plus grand État de surveillance au monde, emprisonnant quiconque s'exprime, et l'Occident continue de commercer avec la Chine. Les Occidentaux ont laissé les intérêts commerciaux obscurcir leur perception. Ils se sont illusionnés, pensant que la Chine s'orienterait vers la démocratie.
Pendant ce temps, les dirigeants occidentaux ont fait pression sur le dalaï-lama pour qu'il adhère à “l'approche de la voie du milieu”, ce qui signifie renoncer à toute prétention à un Tibet indépendant, s'engager dans la non-violence et négocier avec le gouvernement chinois sur le statut du Tibet en tant que région autonome à l'intérieur de la Chine. Le Dalaï Lama croit vraiment à la non-violence, mais le gouvernement chinois sait qu'il est dans une position désespérée. Pourquoi ferait-il des concessions ? Les Chinois viennent d'enchaîner les Tibétains et, en attendant, ils consolident leur emprise sur le Tibet. 
Il est commode pour les politiciens occidentaux d'encourager l'approche de la voie du milieu du Dalaï Lama, car cela sonne bien et leur permet de continuer à faire des affaires avec la Chine. C'est une façon de paraître vertueux et en même temps de faire du profit. Bien sûr, les négociations n'ont mené nulle part, Sa Sainteté n'a pas d'autres options, et l'oppression au Tibet n'a fait qu'empirer.
Hertog : Êtes-vous en train de dire que l'engagement du Dalaï Lama pour la non-violence n'est pas traditionnellement tibétain ?
Norbu : Les idées du Dalaï Lama sur la non-violence sont venues dans une certaine mesure du Mahatma Gandhi [qui a dirigé un mouvement non-violent pour l'indépendance de l'Inde vis-à-vis de la Grande-Bretagne – NDLR]. En fait, il n'y a pas de tradition de pacifisme inhérent au Tibet. Le cinquième dalaï-lama a pris le pouvoir sur le Tibet en 1642 en établissant une alliance avec un puissant souverain mongol et en réunissant un Tibet qui s'était fragmenté depuis la dissolution de l'empire tibétain. La Chine impériale a établi un protectorat sur le Tibet pendant le règne du septième Dalaï Lama, mais lorsque la dynastie Qing s'est effondrée, le Treizième Dalaï Lama a déclaré l'indépendance du Tibet en 1913. Les chefs religieux conservateurs se sont opposés à ses tentatives de moderniser la nation. Ils ne voulaient pas renforcer l'armée tibétaine, car ils craignaient qu'une armée forte ne diminue le pouvoir des monastères. Ils se sont également opposés à l'éducation laïque parce qu'elle était en concurrence avec l'apprentissage monastique. Leur opposition à la réforme a contribué à une situation dans laquelle le Tibet n'était absolument pas préparé à résister à l'invasion chinoise de 1950.
Hertog : Avec toutes vos critiques des élites monastiques bouddhistes, êtes-vous toujours vous-même bouddhiste ?
Norbu : Oui, je suis bouddhiste tibétain, mais je suis de ceux qui remettent en question l'autorité religieuse. Je suis critique envers le clergé mais j'admire la créativité et l'inventivité du bouddhisme tibétain tel qu'il est pratiqué par le peuple tibétain.
Les Tibétains ont reçu des enseignements bouddhistes de l'Inde et les ont ensuite adaptés à notre propre mode de vie ; certaines écoles ont conçu la méditation Tummo pour garder les méditants au chaud. D'autres ont développé la méditation en courant, lorsque les pratiquants devaient parcourir de longues distances par eux-mêmes. Et bien sûr, nous avons la Kora, la méditation en marchant autour des lieux saints, que beaucoup sinon la plupart des Tibétains pratiquent presque quotidiennement. Les Tibétains ont intégré le bouddhisme au tissu de la société tibétaine. Je suis attaché au bouddhisme tibétain, mais je ne défends pas le système religieux monastique qui a usurpé le pouvoir politique au Tibet. Ce n'est pas un problème avec le bouddhisme lui-même. C'est l'échec de notre système politique. C'est pourquoi le Tibet a besoin de démocratie.
Hertog : Avez-vous beaucoup de souvenirs des premières années de l'exil, après que le Dalaï Lama et près de cent mille autres Tibétains eurent fui le Tibet en 1959 ?
Norbu : Ma famille a eu le privilège d'avoir déménagé en Inde en 1950, juste au moment où les forces communistes chinoises envahissaient le Tibet. Nous n'avons pas subi les mêmes épreuves que les Tibétains qui ont dû fuir subitement en 1959. J'étais juste un bambin lorsque nous avons quitté Lhassa et je n'ai aucun souvenir de la vie là-bas, mais je me souviens de l'exode des Tibétains, quand j'avais dix ans. Mon père a été impliqué dans la demande au gouvernement indien d'accorder un sanctuaire au Dalaï Lama. Il n'était pas du tout certain que l'Inde accepterait les réfugiés, parce que [le Premier ministre Jawaharlal] Nehru était un ami de la Chine à l'époque.
Hertog : [Les poètes] Allen Ginsberg et Gary Snyder sont arrivés à Dharamsala en 1962 et ont été parmi les premiers des nombreux chercheurs spirituels occidentaux à s'y rendre. Comment était-ce lorsque ces pèlerins occidentaux ont commencé à se présenter à la recherche de l'illumination ?
Norbu : J'étais adolescent dans les années 60, juste le bon âge pour traîner avec les hippies. On avait de la bonne musique ; Bob Dylan, les Beatles. Je jouais dans un groupe de rock. Le samedi soir, on jouait dans les salons de thé. J'étais donc reconnaissant que “les hippies” soient là. C'était l'occasion d'ouvrir mon esprit à de nouvelles choses. J'ai encore des amis de cette période, dont certains sont devenus plus tard des universitaires spécialisés dans le Tibet.
Mais la plupart des Occidentaux qui sont venus à Dharamsala dans les années 1960 et 1970 savaient très peu de choses sur le Tibet en tant que nation. Ils idéalisaient Mao et la Chine nouvelle. Ils pensaient que les guérillas tibétaines luttant pour l'indépendance n'étaient que des pions de la CIA envoyés pour saboter la courageuse nouvelle Chine de Mao. Ils refusaient de croire que la Grande Famine chinoise [1959-1961] avait réellement eu lieu. Ils étaient sûrs que c'était de la propagande de la CIA. Ils pensaient que la révolution culturelle de Mao était un beau mouvement et apporterait un monde meilleur. Beaucoup de ces jeunes Occidentaux avaient des idéaux irréconciliables : d'un côté, ils idéalisaient la superstition de la religion tibétaine traditionnelle ; de l'autre, ils admiraient la Chine communiste athée.
Hertog : Quand vous aviez dix-neuf ans, vous vous êtes enfui pour rejoindre les forces de guérilla tibétaines dans le nord du Népal, qui combattaient l'armée chinoise de l'autre côté de la frontière au Tibet.
Norbu : J'ai rejoint la résistance par romantisme. J'ai eu une grosse dispute avec mon père, qui ne voulait pas que je devienne un combattant de la liberté. Il avait une autre carrière en tête pour moi. Mais ma mère ne m'a pas découragé car son propre père avait été général dans l'armée tibétaine et avait combattu les forces chinoises dans l'est du Tibet en 1918. Mon grand-père avait la réputation d'être un combattant audacieux, et j'imaginais suivre ses traces.
Plus encore, je me suis inspiré de mes idoles littéraires, comme Ernest Hemingway. Quand j’ai lu For Whom the Bell Tolls [le roman d’Hemingway sur la guerre civile espagnole], j’ai vu un parallèle entre la lutte des partisans espagnols contre le fascisme et la lutte des guerriers tibétains Khampa contre l’oppression chinoise.
Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas beaucoup combattu. J'ai fait un travail de renseignement, parce que j'avais plus d'éducation que beaucoup d'autres. Quand il est devenu clair que notre résistance de guérilla n'allait nulle part et que la CIA a cessé de nous soutenir, j'ai décidé de devenir écrivain — pour contrer la propagande communiste — et présenter la vérité sur le Tibet au monde, afin que les autres comprennent ce qui se passait. J'ai dû apprendre seul à écrire. Je ne suis jamais allé à l'université et je n'avais qu'une maîtrise de l'anglais au secondaire. Je me suis surtout éduqué par la lecture.
Je suis allé à St. Joseph's, un prestigieux pensionnat anglais à Darjeeling, où j'ai étudié la littérature anglaise. C'est ainsi que j'ai rencontré Hemingway.
Hertog : Lorsque vous avez rejoint les forces de guérilla tibétaines, vous attendiez-vous à ce que le Tibet puisse être repris ?
Norbu : Bien sûr, il y avait de l'espoir que nous revenions. Jusqu'à la fin des années 1960, des parachutistes tibétains étaient transportés du Népal au Tibet pour combattre les Chinois. Et puis la Révolution culturelle a commencé en 1966, et le Tibet a été bouclé. D'après les nouvelles qui ont réussi à sortir, nous avons compris que la Chine était dans le chaos ; les communistes brisaient et détruisaient tout ; des millions de personnes étaient tuées ; il y avait des factions belligérantes internes en Chine. Les Tibétains ne pouvaient tout simplement pas comprendre ce qui se passait. Nous étions encore en train de traiter tout ce qui nous était arrivé depuis que les Chinois avaient pris le contrôle du Tibet dans les années 1950. Nous savions à peine ce qu'était le communisme avant l'invasion. Nous étions une société religieuse isolée, conservatrice, essayant de faire face à l'invasion d'une nation communiste antireligieuse de gauche radicale.
Mais pendant ces premières années, nous avions encore de l'espoir. Avec la Chine dans le chaos, il ne semblait pas impossible que l'armée chinoise puisse être vaincue et que nous puissions revenir. Le Dalaï Lama soutenait encore l'idée de l'indépendance du Tibet à l'époque. La communauté en exil était très optimiste. Nous chantions des chansons patriotiques et j'écrivais des pièces patriotiques. De nos jours, l'administration tibétaine minimise l'histoire des combattants de la guérilla et promeut plutôt l'image du Tibet en tant que nation de pacifistes. Mais dans les années 1960, nous n'avions pas seulement les combattants qui avaient été formés par la CIA, mais aussi des milliers de Tibétains qui ont été formés en Inde dans le cadre de la Special Frontier Force. Il y avait de l'espoir. Et ce n'était pas injustifié.
Je suis attaché au bouddhisme tibétain, mais je ne défends pas le système religieux monastique qui a usurpé le pouvoir politique au Tibet. . . . Le Tibet a besoin de démocratie.
Hertog : Quand cet espoir a-t-il pris fin ?
Norbu : En 1973, la CIA a décidé que l'opération tibétaine était un échec et a retiré son soutien. Et après la mort de Mao Zedong en 1976, Deng Xiaoping est arrivé au pouvoir et a ouvert la Chine au commerce international. Lorsque l'Occident a commencé à se rapprocher de la Chine, le régime communiste est progressivement devenu plus puissant que jamais.
Hertog : La résistance continue-t-elle au Tibet ?
Norbu : Oui, toutes les années suivantes, il y a eu un soulèvement ou une manifestation. Le dernier, en 2008, a été brutalement réprimé. Il est devenu de plus en plus difficile de manifester au Tibet. Le gouvernement chinois est très sophistiqué dans la façon dont il contrôle la population, utilisant la technologie pour suivre les mouvements de chacun et plantant des espions partout. Il n'y a pas que la police. Il y a des informateurs dans les appartements des immeubles, dans les écoles, sur les lieux de travail. Les gens ne savent pas à qui faire confiance. Il est impossible de s'organiser ou de parler librement. C'est ce qui a poussé les Tibétains dans la récente vague d'auto-immolations. Se brûler à mort est un acte de protestation solitaire que les autorités ne peuvent arrêter.
Le gouvernement chinois n'a pas l'intention de faire de compromis sur le Tibet. Ils ne font qu'enchaîner le Dalaï Lama. Ils ne sont pas impressionnés par sa non-violence. Je ne parle pas de promouvoir la violence, mais même lorsque vous utilisez des méthodes non violentes, vous devez être conflictuel dans une certaine mesure. La non-violence n'est pas une formule magique qui résout tout. Même Gandhi a dit : « Là où il n'y a qu'un choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. Je suis d'accord que d'autres méthodes — protestation non-violente, opinion populaire, diplomatie, boycotts — devraient être essayées en premier. Mais la violence ne peut pas toujours être évitée. Cela peut être une démonstration de faiblesse ou de lâcheté de se rabattre sur un pacifisme instinctif et de bien-être. »
Les gens m'accusent d'être un fauteur de troubles et de vivre dans le passé parce que je milite toujours pour l'indépendance du Tibet alors que les dirigeants tibétains en ont abandonné l'idée. Mais je pense que les Tibétains en exil doivent aux Tibétains au Tibet de respecter leur vision et leurs idéaux. Les gens au Tibet qui ont perdu la vie et la liberté en protestant contre le régime chinois n'ont pas demandé un compromis ou un ajustement de la façon dont la Chine gouverne le Tibet ; ils veulent la fin de l'occupation et un pays libre et indépendant. Le Dalaï Lama dit qu'il pardonne aux Chinois et qu'il n'a aucune colère envers la Chine. C'est merveilleux. Pendant ce temps, les gens au Tibet souffrent.Jamyang Norbu - D-L .jpg
En 2018, Sa Sainteté m'a demandé de venir le rencontrer et nous avons parlé pendant près d'une heure. Bien sûr, il n'était pas d'accord avec ma position sur l'indépendance du Tibet. Il se tient toujours par sa Voie du Milieu. Mais il a dit qu'il respectait mes efforts pour rappeler au monde que le Tibet était autrefois un pays indépendant et doit le redevenir. Il a dit que le travail que je fais pour promouvoir l'indépendance du Tibet est précieux pour son approche de la Voie du Milieu, parce que le gouvernement chinois ne négociera pas avec les Tibétains si nous ne pouvons pas faire valoir que nous étions un pays indépendant autrefois.
J'ai remercié Sa Sainteté pour ses paroles aimables, mais j'ai clairement indiqué que je ne suis pas d'accord avec lui. Je ne fais pas la promotion de l'idée de l'indépendance du Tibet pour que les négociateurs tibétains soient mieux placés pour conclure un accord avec la Chine. J'ai dit à Sa Sainteté que je ne suis pas prêt à faire des concessions et que je continuerai à lutter pour l'indépendance. Je lui ai demandé de se souvenir dans ses prières de tous les Tibétains qui luttent pour l'indépendance. "Bien sûr, très certainement", a-t-il répondu, ce qui signifiait beaucoup pour moi.

Hertog : Cela fait plus de soixante ans que le Dalaï Lama a fui le Tibet. Y a-t-il encore un espoir pour l'indépendance du Tibet ?
Norbu : L'empire chinois est fragile, car il est bâti sur l'oppression. Dans une démocratie, il existe des moyens par lesquels les gens peuvent exprimer leurs frustrations, et l'injustice, dans une certaine mesure, peut être combattue. Mais en Chine, il n'y a pas de débouché. Si l'oppression est trop grande, tout peut s'effondrer. Si l'empire devait se briser, je pense que la démocratie pourrait être possible dans les plus petites entités qui resteraient. En fait, chaque province chinoise a la taille d'un pays européen, et différentes régions avaient à l'origine leurs propres langues et cultures. Je pouvais imaginer un Sichuan démocratique ou un Guangdong démocratique. Je ne suis pas le seul à le dire. Il y a des dissidents et des écrivains chinois comme Liao Yiwu qui ont appelé à la dissolution de l'empire.
L'héritage impérial est la maladie. Un empire aussi vaste et puissant ne tolère pas l'autodétermination locale. C'est une force d'homogénéisation qui exige que chacun se soumette au gouvernement central. Les habitants de Taïwan et de Hong Kong ont réalisé qu'il valait mieux ne pas faire partie de la Chine, et moi, parmi tant d'autres, j'espère toujours qu'un jour l'empire se brisera.
C'est là que les Tibétains doivent poursuivre le combat et se préparer pour le long terme. Nous pouvons l'emporter si nous sommes capables de garder notre culture intacte.
Hertog : Pourquoi décrivez-vous la Chine comme un “empire” alors que, nominalement, c'est une nation communiste ? Xi Jinping est-il un empereur ?
Norbu : L'idéologie régnante sous Xi Jinping n'est pas le communisme mais “un nationalisme/impérialisme agressif”. Ce n'est pas nouveau en Chine. Pendant des siècles, l'empire chinois a dominé et absorbé les régions voisines non chinoises. Le point de vue officiel est que c'est un privilège pour ces régions de devenir une partie de la Chine, parce que la Chine est le centre culturel du monde, et tous les autres à la périphérie sont des barbares.
Hertog : La philosophie confucéenne a façonné la culture chinoise pendant des siècles et est un élément clé de l'idéologie du gouvernement chinois d'aujourd'hui. Les valeurs confucéennes, telles que le respect des aînés, la loyauté envers les supérieurs et le maintien de la hiérarchie sociétale, sont-elles compatibles avec la démocratie ?
Norbu : Le régime actuel utilise le confucianisme pour défendre l'autoritarisme. Les autorités affirment qu'en raison de son héritage confucéen, la culture chinoise préfère l'ordre et la hiérarchie à la liberté et à l'égalité, mais elles ne semblent pas avoir réellement lu les Entretiens de Confucius [un ancien texte chinois qui présente la philosophie de Confucius - NDLR]. Je ne prétends pas être un érudit confucéen, mais j'ai lu les « Entretiens », et Confucius était beaucoup plus démocrate que les autorités chinoises ne le prétendent. Il appelle à la désobéissance au dirigeant lorsque celui-ci n'honore pas le code moral. La façon dont les gouvernements impériaux chinois ont utilisé le confucianisme pour justifier l'oppression de leurs sujets est une parodie de ce que Confucius a réellement enseigné.
La Chine contemporaine est un matérialisme déchaîné. D'un côté, le gouvernement rejette la spiritualité ; de l'autre, il invoque la culture « confucéenne » pour justifier son mépris des droits individuels et son rejet des principes démocratiques. Vous ne pouvez pas justifier l'oppression en prétendant qu'il s'agit d'une « différence culturelle ». Personne ne choisit d'être opprimé. Demandez simplement aux dissidents chinois.
Hertog : Comment les Tibétains peuvent-ils préserver leur culture sous l'oppression chinoise ?
Norbu : Ce n'est pas une tâche facile. Nous avons besoin d'endurance et de détermination. La communauté tibétaine en exil a la grande responsabilité d'être une source d'inspiration pour le peuple tibétain, qui est empêché d'exprimer son identité tibétaine. Le problème est qu'à l'heure actuelle, notre identité tibétaine tourne autour du Dalaï Lama. Il est le symbole qui nous unit. Mais nous ne pouvons pas miser notre identité et notre culture sur une seule personne. Nous avons besoin d'institutions fondamentales pour maintenir une culture vivante, qui comprend la musique, la danse, la nourriture, les blagues, les histoires. C'est ce que j'essaie de préserver et de chérir.
La vallée cachée de Beyul n'a pas besoin d'être un lieu physique. Lorsque les exilés tibétains sont arrivés en Inde, nous avons créé une sorte de beyul — un refuge où nous avons essayé de préserver notre culture. Nous avons établi un centre de médecine traditionnelle tibétaine ; la Bibliothèque des œuvres et archives tibétaines ; et l'Institut tibétain des arts du spectacle. Nous avons recréé les monastères du Tibet. Tout cela était une sorte de beyul. Nous n'avons pas nécessairement besoin d'un territoire physique pour préserver notre culture et notre identité. Tant que nous avons des moyens de communiquer, nous pouvons créer ces terres cachées.
Hertog : Vous n'êtes pas retourné au Tibet depuis votre enfance. Comment préserver la culture et l'identité tibétaines pour vous-même et les transmettre à vos propres enfants ?
Norbu : Ça a été une montée difficile. J'ai peur de ne pas avoir toujours réussi. Nous vivons maintenant dans le Tennessee rural, un endroit sans communauté tibétaine. Nous nous sommes retrouvés ici parce que ma femme, qui est née dans la communauté tibétaine en exil en Inde, a obtenu un emploi ici en tant que médecin. Elle et moi parlons tibétain à la maison. Mes deux filles parlent un peu tibétain, mais pas couramment. Il y a beaucoup de Tibétains comme nous qui ont du mal à élever leurs enfants dans une autre culture. Nous avons essayé d'envoyer nos filles à l'école en Inde, mais la maison leur manquait et, à la fin, j'ai pensé qu'une famille devrait être ensemble. Les parents ne peuvent pas trop pousser leurs enfants, sinon cela les rebutera. Je veux que mes enfants trouvent leur propre chemin. Notre plus jeune a maintenant dix-huit ans et termine ses études secondaires. Notre aînée a vingt-quatre ans et est une militante et parajuriste qui s'intéresse au droit de l'immigration. Elle vit à Jackson Heights, New York, le quartier tibétain du Queens, et a un colocataire tibétain. Je suis content qu'elle ait trouvé une communauté tibétaine. Il est difficile de maintenir une culture à longue distance.
Hertog : Retourneriez-vous au Tibet si vous le pouviez ?
Norbu : Oh, oui ! La culture tibétaine est toujours très importante pour moi. Je ne peux pas imaginer le monde sans le Tibet. Il y a beaucoup de choses que j'aime dans la culture occidentale, et à certains égards, je suis un internationaliste, mais je suis aussi complètement et absolument tibétain. S'il y avait un gouvernement à moitié acceptable au Tibet qui me laisserait vivre en paix, je m'y installerais en un clin d'œil.
Hertog : Quel devrait être le rôle du Dalaï Lama dans un Tibet indépendant ?
Norbu : Lorsque le Cinquième Dalaï Lama a créé son gouvernement il y a près de quatre cents ans, il a uni un pays qui avait été divisé par des factions en guerre. Mais l'institution du Dalaï Lama a fait son temps et les Tibétains devraient trouver d'autres formes de gouvernement, plus démocratiques.
Toute l'idée des lamas incarnés va à l'encontre des idées bouddhistes sur la renaissance. Le concept est un outil politique que les Tibétains ont inventé il y a des siècles. Je n'y crois pas vraiment. Même le Cinquième Dalaï Lama lui-même ne semble pas avoir cru qu'il était une véritable incarnation. Dans son autobiographie, il admet qu'en tant que jeune enfant, il a échoué au test qui aurait dû prouver qu'il était la réincarnation du quatrième Dalaï Lama. Tout au plus, un Tibet indépendant devrait avoir un Dalaï Lama comme figure de proue, et non comme son chef suprême.
Hertog : L'actuel Dalaï Lama a maintenant quatre-vingt-quatre ans. Que se passera-t-il quand il mourra ?
Norbu : Cela n'est jamais discuté dans la communauté tibétaine en exil. Les Tibétains sont dans le déni et ne semblent pas avoir de plan. Le Parti communiste chinois, quant à lui, a un plan par lequel il produira sa propre réincarnation du Dalaï Lama après le décès de l'actuel Dalaï Lama. Les autorités chinoises trouveront un joli garçon tibétain et le feront éduquer par des moines fidèles au gouvernement chinois. S'ils peuvent le contrôler, ils peuvent contrôler le Tibet.
J'ai exhorté notre Dalaï Lama actuel à annoncer officiellement qu'en aucun cas il ne se réincarnera en Chine. Il a une attitude cavalière à ce sujet — il a plaisanté en disant qu'il pourrait choisir de renaître en tant que femme ou pas du tout — mais il n'a jamais sérieusement annoncé qu'il ne se réincarnerait pas au Tibet sous contrôle chinois.
Hertog : Le projet de loi de secours contre le COVID qui a été adopté au Congrès en décembre dernier contenait une clause surprise stipulant que les États-Unis tiendront pour responsable tout responsable chinois qui interfère avec la sélection du prochain dalaï-lama. Cela sera-t-il efficace ?
Norbu : C'est définitivement une évolution positive. Jim McGovern, un membre du Congrès démocrate du Massachusetts, a promu la législation. C'est un grand défenseur des droits de l'homme. Il avait aussi le soutien de certains républicains, comme Marco Rubio. Mais maintenant, le Dalaï Lama doit faire sa part et annoncer un endroit précis où il renaîtra – en dehors de la Chine, bien sûr.
La non-violence n'est pas une formule magique qui résout tout. Même Gandhi a dit : « Là où il n'y a qu'un choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. »
Hertog : Malgré vos critiques du Dalaï Lama, vous l'avez appelé « le symbole vivant de l'espoir pour la liberté des Tibétains ». EnIMG_20210813_0006 - Copie.jpg fin de compte, pensez-vous qu'il a été un bon leader pour le peuple tibétain ?
Norbu : Je pense qu'il a fait de son mieux, mais une personne ne peut pas être responsable de toute une nation. Il n'a jamais choisi d'être mis dans cette position, et tout au long de sa vie, il a été entouré de conflits et de luttes de pouvoir. Au début au Tibet, il a fait une série d'erreurs. Les communistes ont pu le manipuler à l'adolescence. Ils ont plus ou moins réussi à faire de lui un communiste. Je ne le blâme pas — il était très jeune — mais je blâme les institutions qui ont intronisé un enfant de quinze ans comme chef suprême d'un pays menacé. Le Dalaï Lama a vécu sa vie dans une tour d'ivoire et n'a jamais eu la chance d'en apprendre davantage sur la vie des Tibétains ordinaires. Il a toujours été entouré de personnes avec leurs propres intérêts et ambitions qui lui ont souvent donné de mauvais conseils. Malgré cela, il a réussi à faire un certain nombre de bonnes choses : il a créé le gouvernement tibétain en exil à son arrivée en Inde. Il a mis en place le nouveau système éducatif et a recréé le système monastique. Il s'est également efforcé d'être un bon gourou spirituel, et il nous a très bien servi dans ce sens. Mais il n'est pas du tout politiquement avisé. J'aurais aimé qu'il puisse s'en tenir à être un enseignant spirituel.
Hertog : Le Dalaï Lama a dit qu'il se considérait comme un marxiste. Êtes-vous d'accord avec lui pour dire que le Bouddha aurait pu soutenir le communisme ?
Norbu : Le communisme fait de grandes promesses ; une égalité totale, un monde juste, une société parfaite. Mais il ne fait pas de compromis et il nie la complexité. Je ne pense pas que le Bouddha aurait favorisé le communisme, car il considérait que la réalité dans laquelle nous existons était par définition imparfaite. La Première Noble Vérité est que la souffrance est une caractéristique innée de l'existence. Le Bouddha n'aurait donc pas accepté l'idée d'une société parfaite. Son objectif principal était de se libérer du samsara, et non de poursuivre la perfection au sein du samsara.
Si le Bouddha approuvait n'importe quelle forme de gouvernement, je pense qu'il appuierait la démocratie. Dans son dernier discours, le Bouddha a expliqué comment le Vrijji, une confédération tribale du nord de l'Inde qui pratiquait une forme précoce de démocratie, devrait se défendre contre un puissant monarque autocratique. Je trouve merveilleux que le Bouddha ait pensé à de telles questions il y a 2500 ans. Il souligne l'importance de protéger les institutions démocratiques et les procédures appropriées, y compris le respect et la protection des femmes. Et il a tout à fait raison : la seule façon de protéger la démocratie est de protéger ses institutions, car les humains ont toujours des défauts. La démocratie a aussi des défauts, mais c'est le meilleur système que nous ayons. Nous vivons dans un monde imparfait.
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Judith Hertog, The Sun – juin 2021

https://www.thesunmagazine.org/issues/546/defending-the-roof-of-the-world?fbclid=IwAR0sl9Dj1CeSTVtv4GWQ3I4s8ez5VdlgUD6OVvgwoIz55Z0b7e9IDsM4IqY

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En guise de “conclusion” nous livrerons une partie du courrier d’un ami … :
 « C'est une évidence pour moi maintenant, le bouddhisme tibétain occidental (B.T.O.) est devenu une entreprise qui ne me convient plus. Malgré les liens très forts qui me lient à lui, j'essaie désormais de le considérer comme je considérerais n'importe quelle autre religion, avec distance, et ayant peu à offrir à l'humanité. Les solutions pour le monde et l'humanité ne passent plus/pas par les religions. Je suis assez d'accord avec le Dalaï-Lama sur certains points, en allant plus loin, n'ayant pas ses responsabilités. La communauté B.T.O. sur Facebook m'avait fait honte ces deux dernières années. Son silence, ses dévots avec leurs rappels à l'ordre, ses demandes à ce que l'on se taise ! C'est pitoyable ! 99% des échanges B.T.O. sur Facebook sont d'un ennui total, et vont dans le même sens. Et ce serait le 1% plus critique qui devrait se taire… ! 
Mes messages, nos messages n'ont malheureusement pas eu beaucoup d'effet. C'est vrai que le B.T.O. a changé, est devenu nettement plus religieux, trop religieux à mon goût. J'avais essayé de changer un peu le cours des choses, le rendre davantage intellectuel, critique, autocritique, mais je crains que cela fait depuis longtemps que “les éléments les plus bouddhistes” dans le sens introspectif (individuel et collectif) sont partis, laissant le champs au tout-religieux ... et dévots... Est-ce que c'était/c'est un choix conscient des B.T.O. ? Je n'en sais rien, mais je dois bien me rendre à l'évidence. Tout comme le judaïsme, le christianisme, l'Islam, je n'ai plus à vouloir changer le B.T.O., c'est aux B.T.O. (ou à leurs guides) de décider dans quel sens ils veulent aller. »
19 novembre 2019
J. V.

https://hridayartha.blogspot.com/2023/10/feudalism-samaya-and-living-in-tube.html
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… ainsi que Lama Thoubten Yéshé (1935-1984) qui voyait loin !

Apporter le Dharma en Occident

Questionnements sur le développement des “centres lamaïste” et direction sur la façon dont les choses peuvent être entrevues.
L’édification des “centres lamaïste” s’est fait sur l’initiative de groupes de personnes très motivées dans la années 70/80 avec l’agrément de maîtres de Lignées.
L’objectif était d’offrir aux personnes qui en exprimaient le souhait, des lieux où ils puissent pratiquer la méditation en toute sérénité, d’où leur utilité dans un protocole de développement dans la continuité sur les générations en devenir. Il semblait nécessaire d’établir une forme de communauté de pratiquant(e)s, du vivre ensemble dans un partage des perspectives du Mahayana au travers d’une vie quotidienne dans un environnement sociétal consumériste difficile et peut favorable, voire hostile !
    Il fallait trouver les moyens de reformulations des concepts étriqués individualistes nés autour du mercantilisme exacerbé, prenant appuis sur l’indispensable partage fraternel de la condition humaine, fondement de notre propre humanité. Transformer donc cette dynamique vers l’expérience possible de la paix intérieure, d’un esprit en transcendance.
Pour ce faire il était nécessaire que soit donné les enseignements, instructions claires par des maîtres qualifiés en la tradition.  
Question à Lama Thoubten Yéshé :
 “Concernant la responsabilité des enseignants dans les centres, comment pensez-vous que les membres de la communauté doivent les considérer, sur la question de la responsabilité du programme en général, les activités générales des centres ?”
« Je pense que c’est un sujet important pour avoir une vision plus large et pour avoir une orientation forte dans l’échange d’idées entre les enseignants, les géshés, les Lamas, Tülkus et autres … et les directeurs spirituels occidentaux.
Donc sans cette connexion forte, sans compréhension de l’autre, il est très difficile de faire des programmes, des présentations, donc tout cela est important. La communication entre les membres de la communauté sur leurs activités et leurs projets futurs, la planification et autres devraient être lié de façon proche avec les enseignants eux-mêmes.
En effet, si les enseignants ou étudiants, les directeurs du planning ne communiquent pas, je pense, qu’il n’y aura pas un bon contacts d’échanges ; donc on ne pourra pas mettre en œuvre la pensée du Mahayana, oui, car c’est conflictuel. S’il y a un conflit, par exemple si vous êtes le directeur, que je suis l’étudiant et qu’un différent conflictuel s’installe entre nous, c’est le désastre ! Comprenez-vous bien ce que je veux dire ?
Le fait d’avoir apporté le Dharma en Occident, c’est quelque chose de vraiment spécial, n’est-ce pas ? Dans cette perspective une part de votre personnalité doit s’effacer, s’oublier et disparaître, et nous devons lier cette démarche à la spécificité de la personnalité occidentale et de cette façon nous mettons en commun cette grande énergie ; alors nous réussirons. » 
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Lama Yeshe – Lama Tsong Khapa Institute, Pomaia - Italie.
 Lama Yeshe Wisdom Archive © 25 octobre 1982

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 « [Pour Gampopa ou Dhagpo Lhaje 1079-1153] la voie de la perception (tib. gzhir shes pa) est bien une voie autre que la voie des sūtra et la voie des mantra (transformation de la Base). Cette troisième voie n’a pas besoin d’un guru qui initie un disciple dans le cadre d’une consécration yogatantra supérieure, mais d’un ami de bien (skt. kalyāṇamitra), qui introduit l’étudiant en la nature de l’esprit (tib. ngo sprod), y compris en dehors d’un cadre tantrique. Comme il s’avère du Guide du Naturel (Sahajasiddhipaddhati de Lakṣmīṅkārā), après l’introduction à la nature de l’esprit, l’individu "introduit" peut même poursuivre sa propre voie religieuse, quelle qu’elle soit (y compris le brahmanisme, etc.), ou professionnelle, familiale... Il peut aussi, comme une cerise sur le gâteau, “accumuler du mérite”, pratiquer les mantras dans le cadre d’une consécration avec un guru, vivre comme un Heruka, etc., s’il veut des siddhi, un corps d’arc-en-ciel, etc. Il est “libre”. »

https://hridayartha.blogspot.com/2021/08/la-voie-de-la-perception-selon-gampopa.html?fbclid=IwAR12DY_CYoCv65KKjE5nWqxOfJoDnWE5NfG7eb12NzaWVF0G2oyHT2qO46Y

 

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« Comment séparer une religion de ses adeptes ? Une religion apporte beaucoup à une personne qui la pratique ; mais une personne apporte autant — en bien ou en mal — à la religion qu'elle a choisie. Autrement dit, si quelqu'un est violent ou corrompu, sa religion paraîtra elle aussi violente et corrompue. » (p.87/88)

https://www.babelio.com/livres/Ary-Tulkou--Autobiographie-dun-lama-reincarne-en-Occ/1104872/critiques/2905558

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Rencontre avec le philosophe Stéphane Arguillère (printemps 2023)

https://www.youtube.com/watch?v=D0MmD0fpC7E

 

https://www.babelio.com/livres/Campergue-Le-tantrisme-tibetain-en-France/1389781/critiques/3062885

https://hridayartha.blogspot.com/2023/05/aux-origines-des-derives-du-bouddhisme.html

https://www.youtube.com/watch?v=flD2EHrdE8I

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Notre mot de clôture de cinq décennies de profonds engagements de vie :  
— “habité par une certaine sincérité et/ou authenticité spirituelle” auxquelles nous devions bien cela, devons-nous pour autant nous cacher pour vivre ... et enfin mourir ? 

https://www.babelio.com/livres/Leloup-LAbsurde-et-la-grace/192171/critiques/3335524

« L’absurde et la grâce » - Jean-Yves Leloup, Éditions Albin Michel © 1994 IMG_20221117_0001 - Copie.jpg

À plus d'un titre, ce récit “autobiographique” est remarquable ; à la fois sur les sujets abordés riches dans leurs profondeurs et variétés, la franchise des expériences et l'honnêteté de l'auteur, ainsi que sa chaleureuse fraternité. Cette fraternité qui transparaît de façon évidente, pour ce qui nous concerne du moins en écho à notre propre vécu ; nous sommes de la même génération et même “confession” d'origine de notre pays, avec un parcours certes bien différent et certainement beaucoup plus humble.
Jean-Yves Leloup bien “qu'enraciné” dans le christianisme, porte un regard très vaste sur la floraison en matière d'itinérance intérieure et spirituelle de l'humanité, affirmant l'entière validité, que :
— « Quand tant d'hommes et de femmes passent des années sur les bancs des écoles et des universités apprendre des choses plus ou moins utiles, il semble raisonnable de consacrer au moins quelques années à la recherche de « ce qui est vraiment » et, avant de mourir, il n'est pas ridicule de chercher à se connaître soi-même. (p. 350)
Dès lors est abordée sous différents angles cette quête légitime en soi, à travers les traditions de notre humanité, dans un regard sans concession devant les dégénérescences et les duplicités, voire les hypocrisies patentes dans les institutions “officielles” ; « Je m'attendais à trouver des poux dans les monastères, mais pas [tant ?] de haine ! » (p. 98), et autres dangers réels, mais dégageant et revenant toujours à l'essentiel, le coeur vivant et aimant, en “Amant de la Vie” ! C'est parfois d'une telle limpidité et puissance que cela peut bousculer dans le tréfonds de l'être.
Transparaît alors la philocalie* et de très inspirantes visions poétiques dans cet ouvrage, qui par ailleurs “pointe du doigt les accusateurs” d'un prétendu syncrétisme de surface somme toute négligeable, pour justifier des rivalités “de chapelles” temporelles ecclésiales aux relents d'intégrismes eux très sectaires, et l'esprit d'ouverture et de partage né de l'origine principielle de la nature spirituelle proprement Humaine ; ceci est dans le chapitre consacré à la Sainte-Beaume, on ne peut plus édifiant à ce sujet !
Concluant ainsi :
« Aujourd'hui les humains ont soif de l'eau pure des Sources. Qu'on ne leur en veuille pas s'ils se détournent des égouts. » ! (p. 372)
« La Réalité ne te plaît pas ? Elle t'aidera à aller au-delà de ce qui te plaît et ne te plaît pas, au-delà du petit “moi” qui juge, elle te fera sortir de “ton monde”**. Tu viendras “au monde”. Tu es déjà mort, tu n'es pas encore né. » (p. 266)
— À qui l'A/amour fait-il si peur ? (p. 327)

Des citations de l'ouvrages :

http://camisard.hautetfort.com/media/00/01/2934679440.pdf
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* La philocalie, qui est gratitude, émerveillement et célébration est l'exercice propre d'une humanité encore humaine. le mot “philocalie”, littéralement, veut dire « amour de la beauté »
** « le mental, quelle tragédie ! »
... adossé à un puits
mourir de soif,
au coin d'une flambée
grelotter,
devant un buffet dressé
être tourmenté par la faim,
parmi une forêt de bras ouverts
se languir d'être touché,
se cogner
aux quatre coins
de son monde
hermétique
et pourtant contenu
au sein de l'espace
sans cloisons … !
« Personne ne vit dans le monde. Chacun vit dans son monde »
Swami Prajnanpad
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“Organ Solo” - Neil Young - « Dead Man » (22') 

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( mes remerciements à S. Grillet

pour sa participation et sa relecture attentive ...)

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