Ce thangka de la tradition rNying-ma-pa montre au centre le Bouddha Sâkyamuni tenant dans sa main gauche le bol à aumône (skr. Pâtra). En haut, au milieu, l'Âdibouddha Samantabhadra (tib. Kun-tu-bzang-po) uni à sa blanche Prajnâ. En haut, à gauche, le Guru Padmasambhava (tib. Padma 'byung-gnas) et, à droite, le bleu Dhyânibouddha Aksobhya avec le Vajra (tib. Mi-'khrugs-pa). Au bas du tableau, à gauche sur un trône de lotus, le blanc Bouddha Vajra-sattva (tib. rDo-rje sems-dpa') et à droite la verte Târâ. Au-dessous et au centre, entourées d'une aura de flammes, les déités tutélaires Vajrapâni (tib. Phyag-na rdo-rje) et le rouge Raktayamântaka (tib. gShin-rje-gshed dmar-po).
illustration n° 12 page 52
https://www.babelio.com/livres/Lauf-Lheritage-du-Tibet-nature-et-signification-de-la/572904/critiques/527230
(« Mipham Rinpoché », grand érudit tibétain de l'école Nyingma, disciple de Dza Patrül)
Khyabjé Dilgo Khyentsé fin des années 1980 à la Sonnerie en Dordogne, lors d'une abhisheka (transmission) de Padmasambhava
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* Qui est transmis par l’écoute, l’imitation et la mémorisation. Couramment concomitant au caractère oral d'un phénomène.
Les traditions orales sont des traditions aurales : elles sont basées sur une culture de l'oreille.
Ce thangka illustre le paradis de l'autre monde de Padma-sambhava (tib. Zangs-mdog dpal-ri), un des thèmes de prédilection de la mystique des anciennes ligées rNying-ma-pa. De couleur cuivrée, la montagne sainte émerge de la mer, empire du roi des Nâgas, et s'élève jusqu'au monde de Brahmâ. Le grand palais céleste de Padmasambhava a quatre façades avec des portes et huit angles. Il est entièrement translucide, de l'intérieur et de l'extérieur. Au centre trône le «précieux Guru » Padmasambhava avec ses deux femmes disciples, Mandârava et Ye-shes mtsho-rgyal, qui lui tendent en offrande le Kapâla tantrique. Autour de Padmasam-bhava, les huit Gurus/maîtres, qui passent pour les incarnations antérieures du maître tantrique d'Uddiyâna. Ce sont, en partant de la gauche, Guru mTsho-skyes rdo-rje, Padma rgyal-po, Sâkya seng-ge, Seng-ge sgra-sgrogs, rDo-rje gro-lod, Nyi-ma 'od-zer, bLo-ldan mchog-sred et Padmasam-bhava. Leur teinte se rapporte à l'ordre des huit Gurus/maîtres dans le Mandala. Au-dessus du « précieux Guru », on distingue l'AvalokiteSvara à quatre bras et au-dessus le Bouddha Amitâbha. Padmasambhava passe pour une incarnation du Bodhisattva Avalokitesvara. Ce qui correspond à la représentation usuelle de la Trikâya de Padmasambhava, à savoir dans sa forme Dharmakâya comme Amitâbha, dans l'aspect Sambhogakâya comme Avalokitesvara et dans le Nirmâna-kâya terrestre comme Padmasambhava. Au ciel volent des nymphes (skr. Kinnaras). Dans les nuages, les divinités protectrices Ma-ling nag-po (à gauche) et Pe-har rgyal-po (à droite) avec leurs suivants et le Bouddha Sarvavid-Vairocana (tib. Kun-rig) tout en haut, au milieu. XVIIIe siècle.
https://www.babelio.com/livres/Lauf-Lheritage-du-Tibet-nature-et-signification-de-la/572904
illustration n° 14 page 57
« Le cœur de la voie bouddhiste »
en présence et sous l’autorité de Khyabjé Dilgo Khyentsé
“Série d’enseignements donnés à Shéchen Tennyi Dargyéling”
Dordogne - France
du 15 juillet au 15 août 1990
LES ENGAGEMENTS ET LE TRIPLE SCEAU
Les deux sceaux relatifs à l'obligation d'enseigner
Quant au sceau de l'obligation d'impartir cet enseignement aux êtres qualifiés et pour ce qui est du sceau qui commande de le confier, [pour qu'il le] diffuse, à un individu prédisposé par son karma exalté, il s'agit d'êtres magnanimes, consternés et effrayés par la pensée égoïste de ceux qui ne s'appliquent qu'à leur propre bien, ayant pour la Religion et leur maître une foi ardente et sincère, capables de pratiquer selon ce qui leur est enjoint, concentrés sur la tâche de faire le bien des migrants futurs, et qui ne relâcheront pas leurs efforts.
Puisqu'il est difficile, pour un maître, de rencontrer un tel récipiendaire adéquat de ces enseignements, quand il le rencontrera, avec foi et respect* envers le profond Dharma et le disciple à qui il va être enseigné, qu'avec joie il lui confère la transmission scripturaire avec les profondes instructions.
Afin d'examiner [l'individu pressenti pour être un tel] récipiendaire, le maître lui imposera de s'appliquer à des travaux pénibles, lui adressera des injures blessantes, vérifiera sa générosité en disant vouloir telle ou telle chose précieuse, etc. Si [le disciple s'avère être] irascible, ou paresseux, ou timoré**, ou avare, qu'on ne lui enseigne pas le profond Dharma, puisqu'il y aurait le gros inconvénient que, du fait [de ces défauts], il risquerait d'abandonner un jour la Religion et le maître.
S'il n'est point tel, mais pieux et généreux, il est clair que ce sera le signe qu'il a un lien de karma antérieur ; dans ce cas, alors même que les richesses, etc., sont inutiles au maître, il les recevra pour que le …disciple parfasse les accumulations. Cela est requis pour que [le lien de maître à disciple] soit fermement établi sans danger de déclin.
Selon le Tantra du roi créateur de toutes choses :
Pour défaire [le disciple] de son attachement au monde et pour examiner son esprit,
Le maître prendra possession de son corps et de ses biens ;
Il y a une différence entre ceux qui l'endurent ou non : à celui qui est doté du signe
Il donnera le Roi Omnicréateur au sens essentiel.
Ainsi, le maître qui dispensera ces préceptes doit lui-même, comme base, être doté des caractéristiques que l'on a vues plus haut ; il devra les impartir au donataire que l'on vient de dire. Il lui enseignera sans être avare ni de ses livres, ni de son Dharma. Ainsi le triple sceau est-il apposé.
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* Si cette idée d'une « foi et respect » du maître à l'égard de son disciple n'est pas un hapax (sPrul sku Tshul lo ne serait pas du genre à inventer une chose aussi étonnante, qu'il a donc bien dû trouver quelque part), du moins est-elle rarissime dans la littérature religieuse tibétaine : je ne l'ai jamais vue ailleurs.
** Sems zhum pa, quelqu'un qui se décourage, défaitiste.
p. 443/44
« Manuel de la transparution immédiate » Tülku Tsullo - traduc. Stéphane Arguillère, Éditions Cerf© 2016
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Nous nous permettons avant toute chose de citer ici Tsültrim Zangpo [1], pour que se répande la bonne vertu !
Car il est absolument essentiel que ceci soit bien entendu, bien compris et bien assimilé. Toute autre attitude d'esprit ne serait la source que d'impostures fallacieuses et dommageables, qui hélas ce sont répandues comme un chancre ces dernières décennies dans nos contrées d’Occident.
Il est en effet absolument inadmissible que ce qui est par nature rare et exceptionnel, (la rencontre d’un détenteur authentique et accompli de Lignée spirituelle et un postulant remplissant les conditions, comme désignées précédemment pour une transmission majeure), soit galvaudé comme si cela était “monnaie courante” ! Bien pis ! Faisant d’une situation intime rare une méthode d’emblée, appliquée avec zèle souvent par le (ou la) première personne stupide atteinte de “gourouïte aiguë” dans ce genre de milieu(2), à savoir les “centres d’obédiences du bouddhisme tibétain” … nous en sommes arrivés actuellement à ce qui défraye les chroniques avec Sogyal Lakar du temple bouddhiste de Lérab Ling à Roqueredonde dans l’Hérault(3) pour ne citer que l’affaire la plus médiatisée … car elle est loin d’être la seule !
Ainsi ce qui est présenté aujourd’hui n’est en aucun cas lié à ceci, ni à cela ..., car datant de 1990 bien avant que tout cela ne chute dans la dégénérescence …
Merci de votre attention.
Sarva Mangalam !
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[1] ou “Tülku” (prétendu, selon ses propres dires) Tsullo - https://www.babelio.com/livres/Arguillere-Manuel-de-la-transparution-immediate/1060283/critiques/1954776
(2) - ou pire de la part de certains dépositaires d'enseignements de ce type, et à les regarder comme leur bien propre, éventuellement monnayable, mais surtout le plus souvent réservé, tel que cela va aujourd'hui, à un cercle assez étroit de privilégiés statutaires, entre lesquels existent le plus souvent des liens de famille ; pour reprendre Stéphane Arguillère page 43 de son ouvrage.
(3) - http://camisard.hautetfort.com/archive/2011/06/05/lerab-ling.html
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(1) https://www.babelio.com/livres/Arguillere-Manuel-de-la-transparution-immediate/1060283
Rigdzin Godem
Tsültrim Zangpo (T.Tsullo)
Chimed Rigdzin
(2) (Afin d'examiner [l'individu pressenti pour être un tel] récipiendaire, le maître lui imposera de s'appliquer à des travaux pénibles, lui adressera des injures blessantes, vérifiera sa générosité en disant vouloir telle ou telle chose précieuse, etc.)
(3) et autres dépositaires “honorables” d'enseignements de ce type à les regarder comme leur bien propre, éventuellement monnayable, mais surtout le plus souvent réservé aujourd'hui, à un cercle assez étroit de privilégiés statutaires, entre lesquels existent le plus souvent des liens de famille ; pour reprendre Stéphane Arguillère page 43 de son ouvrage de traduction.
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« Dzotchen – La Sonnerie 1990/2020 - 30 ans »
— En 1983/84 lors de mes rencontres avec Denise Desjardins [1] en Bourgogne et en Touraine, je lui faisais part de mes difficultés en tant que parent* assumant sa vie sociétale dans le siècle, à rencontrer dans la tradition du vajrayana tibétain un cadre en France qui puisse inspirer quelque chose de pérenne dans le séculier. Elle me recommanda chaleureusement un maître de ladite tradition sans aucune hésitation ; Khyabjé Dilgo Khyentsé, parfait “inconnu” dans ces milieux à l’époque en notre pays. Quelques jours plus tard, fin août 1984 je le rencontrais pour la première fois donc, à la Sonnerie en Dordogne et au gré de ses venues en France jusqu’en été 1990.
Ceci afin de situer le contexte de “l’essai” du rendu de ces extraits** qui sont proposés aujourd’hui en modeste partage, sans aucune autre prétention que celle d’une « mémoire ouverte » sur une période et une époque sans doute à jamais révolue, celle de la dynamique d'un "ashram" … hélas pourrait-on dire, au vue de bien des pratiques pseudo-traditionnelles du bouddhisme tibétain actuel en occident, et des événements présents de par le monde, qui ne vont pas laisser l'humanité indemne !
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Concernant l’implantation d’un lieu “spirituel vivant” il faut bien faire la différence de fond, et donc fondamentale, entre ce qu’est « un centre spirituel » et un « ashram » :
Le “centre spirituel” est fondée sur une approche pourrait on dire de “raison” et susceptible trop souvent de générer de la tension et “peurs” qui l’accompagnent ; budgétisation, prévision et programmation etc...(1)
“L’ashram”, c’est une forme “d’abandon” en un aléatoire Providentiel. Ceci implique notamment de ne pas fixer de tarification de “prestations” et à fortiori de participation.(2)
Dès le départ nous sommes dans une profonde différence d’intention et de “nature” ! L’un reste très impliqué dans toutes sortes “d’œuvres mondaines”, l’autre pas vraiment du fait de son propre mode de fonctionnement… !
Eric Edelman « Une lignée vivante »
https://www.youtube.com/watch?v=dozmBFOZ6Bo
39 : 30
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(1) le business "sacré" et les ambitions très temporelles qui vont avec... ? Certainement !
(2) qui resterons à l’appréciation de leurs moyens en toute responsabilité de leur intégrité, pour subvenir à ce qui leur est “Donné”/Dana (la perfection du don de soi,“ self-surrender”)… Khyabjé Dilgo Khyentsé n'en a jamais dérogé de son vivant quand il venait à la Sonnerie. Le mode de fonctionnement de “l’ashram” ayant été dans l'arbitraire remplacé après son décès en “centre spirituel”, nous n'avons pu que le constater, la trahison d’intention et de “nature” ayant été acté par les "autorités" du lieu, il ne nous restait plus qu'à partir... et ce malgré l'engagement personnel de K. Dilgo K. en vers nous, devant "tulku Khyentsè", que chacun assume ses responsabilités..!!
[notes du transcripteur]
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* — père à l’époque de trois jeunes enfants nés entre 1975 [jumeaux] et une fille de 77, [la dernière étant née le 16 mai 1989]
** Cet essai, si il reste au plus près de sa fidélité des intervenants est néanmoins, dans un souci d’adaptation à une lecture contemporaine d’un citoyen d’éducation classique en nos contrées, très inspiré de la position d’un Arnaud Desjardins ou plus proche de nous actuellement, le Dr Jacques Vigne[1] :
« Dans un système se trouve clairement explicité ce qui n'est qu'implicite dans l'autre et vice versa. L'effort de compréhension entre les religions est un des actes les plus noblement religieux aujourd'hui. »
[« ... la religion interprétée à la lettre n'enseigne que des vérités superficielles, sources de bien des drames ».
(La pensée totalitaire, religieuse ou autre, de la logique hégémonique est ainsi construite : tout ce qui ne s’efface pas devant sa vérité constitue un obstacle à son expansion qu’il faut donc écarter. Et à plus forte raison quand cet obstacle consiste en une pédagogie de la critique, et la liberté d’expression n’est rien d’autre que cela. Toutes les libertés apparaissent par la suite comme des défis à la norme rigoriste du dogme “bien compris” !
Il ne reste, dans cette traque des libertés conçue comme défense de la foi, qu’à s’autoriser tous les moyens ...)
La véritable spiritualité est à ses yeux* recherche permanente de la réalité du Message pour savourer, dans le partage et la richesse de la vie, l'intarissable flux du divin qu'elle porte en elle. Aussi jette-t-il sur l'évolution actuellement perceptible dans le monde des religions un regard sévère : « Aujourd'hui, les religions sont devenues des prisons pour l'esprit ; l'aspect extérieur a pris tellement d'importance que l'homme ne peut s'y épanouir ; les soufis se sentent proches de toutes les créatures, au-delà de toutes les religions. Chaque être a reçu le divin en dépôt, tout le monde aspire au bonheur ; certains le recherchent dans l'argent, le pouvoir ou dans le salut d'une religion. Ce sont là des moyens illusoires. Une seule chose peut réellement apaiser et apporter le bonheur : c'est de vivre dans l'union et non dans la séparation, dans la perpétuelle contemplation du divin. Telle est au fond notre véritable naturel. »
Jean-Marie Pelt « Nature et spiritualité »
https://www.babelio.com/livres/Pelt-Nature-et-spiritualite/91173/critiques/1023485
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* Cheikh Bentounès]
Ainsi donc nous nous sommes surtout attachés à entrer dans la plus profonde compréhension, qui est sans doute un peu personnalisée, de ce qui était transmis en présence et sous l’autorité spirituelle de Khyabjé Dilgo Khyentsé dans une transmission traditionnelle dite “aurale” (ou orale)* , qu’un mot à mot pouvant être rébarbatif et fastidieux à la lecture. Donc c’est une transcription de “l’esprit” plutôt que de la “lettre”, nous tenions à le préciser, qui peut donner lieu peut-être à “critiques” ; cependant une relecture très attentive de notre compagne de vie d’aujourd’hui Sandrine Grillet, a été faite et nous l’en remercions vivement pour sa patience, le rendu de cette transcription était parfois difficile ... elle a toute ma gratitude !
[1] https://www.anandamayi.org/devotees/jv/jvfr.htm
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* Qui est transmis par l’écoute, l’imitation et la mémorisation. Couramment concomitant au caractère oral d'un phénomène.
Les traditions orales sont des traditions aurales : elles sont basées sur une culture de l'oreille.
«Dans l’Intime d’un Chemin », Véronique Loiseleur-Desjardins, Éditions du Relié Ronde © 2019
https://www.babelio.com/livres/Desjardins-Dans-lintime-dun-chemin--disciple-et-compagne/1146709#!
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Ces "cassettes" font partie d'une collection dont il ne m'a pas été possible à l'époque faute de ressources financières suffisantes, d'acquérir l'ensemble (1991 où les choses étaient déjà très compliquées dans ma vie [dont on sait beaucoup mieux aujourd'hui les tenants et aboutissants] et de quoi il retournait dès ces années là dans ces milieux ...) .
Le “sieur responsable” Maxime MASSONI bien qu'ayant déjà été réglé de ma commande, refusa d’honorer le matériel, les K7 en question. Il me fallu faire intervenir directement Khyentsé Jigmé (fils de Kangyur R.) pour que soit mis bon ordre à cet état de fait, bien que peu amène il intervint tout de même en ma faveur ! Mais le ton était donné, d'un futur sombre, qui me décida fin 1993 à quitter toute cette ambiance malsaine et aliénante* ... Il était bien loin le temps où Denise Desjardins m'avait recommandé Khyabjé Dilgo Khyentsé (été 1984 à Tours - Indre et Loire) !
Nous pouvons remarquer dans cette liste « F7 » la présence du "lama Kunzang" (alias Robert Spatz) de Nyima Dzong/Château de soleils ayant depuis eu bien des démêlés avec la justice, qui perdure encore à ce jour ... le "ver" était déjà dans la pomme" ! Inutile de dire que je n'ai jamais croisé le chemin avec ce monsieur (je l'ai appris 30 ans plus tard !), a eu une entrevue houleuse avec K. Dilgo K. à cette époque à la Sonnerie ...
https://www.facebook.com/hridayartha/posts/1740257026134229
* ces attitudes déplorables ont d'ailleurs eu parfois des conséquences bien fâcheuses, avec des personnes n'ayant pas beaucoup de constance et de patience ... !
https://www.sudouest.fr/2016/03/14/la-bibliotheque-ravagee-2300238-2087.php
... le lundi 18 décembre 2000 à Dhagpo K. Ling un peu plus en bas de la Côte de Jor, des faits similaires déplorables c'étaient déjà produit !
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Karma et conscience (vacuité des phénomènes)
d'après Zigar Kongtrul R.
(extraits et notes adaptées - octobre 2019)
La seule présence d’un être de “réalisation spirituelle” n’octroie pas de facto à autrui la dite réalisation. Il est nécessaire que tout un chacun se donne les moyens et les conditions propices au cheminement de sa propre spiritualité.
Le simple fait de développer une démarche de curiosité envers la tradition du Dharma n’est pas suffisant en soi pour appréhender ce dont il est question de manière juste.
Si on souhaite aller vers un approfondissement de notre approche, il faut en premier lieu prendre conscience de l’étendue de notre souffrance et de ses douleurs associées. C’est à partir de la prise de conscience de cet état constant et général que l’on peut engendrer un processus nous menant vers une autre perception des choses.
Ce qui est entendu ici par “souffrance”, ce ne sont pas les douleurs légitimes ressenties quand on perd une personne proche aimée, ou lorsqu'on est victime, d’un sinistre comme un accident, d’une maladie grave, etc... Il s'agit de la notion d’insatisfaction que nous expérimentons à travers le désir, la jouissance d’un plaisir qui ne nous procure pas de “félicité” et nous laisse dans l’insatisfaction et la frustration, ce qui nourrit un état latent “d’angoisse”.
Si nous nous “approprions” le contenu de l’enseignement du Dharma pour “paraître”, nous ne ferons qu’accroître le processus d’inflation de notre personne et les diverses difficultés inutiles qui vont avec. Quand nous initions notre “praxis” dans le Dharma, nous devons nous situer dans la perspective d’un choix, celui de ne pas sombrer dans le “gravitationnel” des désirs limités, mais au contraire de se diriger vers la transcendance généreuse des difficultés et des souffrances, vers l’ouverture de l’esprit dans sa pleine conscience en toute lucidité (nirvana). Lorsque nous nous proposons de nous engager dans ce cheminement, il est bon d’avoir des amis spirituels et d’être au contact d’un authentique maître ayant parachevé la réalisation de son propre esprit afin de préserver l’attitude correcte.
Au stade où nous en sommes, ce que nous percevons avec le plus d'acuité, ce sont les manifestations de notre mental incarné dans notre corps, ainsi que ses expressions verbales. Au travers d’un travail sur soi de la parole et du corps, nous pouvons comprendre petit à petit comment fonctionnent notre esprit et nos diverses consciences de perception. Il est donc important que nous observions notre comportement et surtout nos motivations profondes, vis à vis du maître bien sûr, mais aussi de notre entourage, ainsi que nos expressions verbales et autres ...
Dans le contexte d’un enseignement traditionnel, assis, (sur un coussin ou autre) nous devons faire en sorte de ne pas prêter trop d'attention aux divers désagréments suscités par notre position corporelle, ils nous détournent de notre objectif. Nous devons également être vigilants par rapport au bruit de fond de l’incessant bavardage de notre mental qui a pour effet de nous disperser et de nous créer des obstacles.
La difficulté éprouvée par les Occidentaux à établir une bonne attitude provient de l'agitation mentale et d’un relâchement dans la rigueur rendant l’attention difficile. Si on leur en fait la remarque, cela est souvent interprété à mauvais escient comme “intrusif”. Il est important de garder un esprit ouvert et à l’écoute de ce qui est transmis et enseigné, sans distractions. Ce pourquoi il est recommandé d’avoir une attitude “juste”.
Le sujet abordé aujourd’hui est donc « Karma-vipaka » ou “l’action et son résultat”*.
Comprendre l’interdépendance est un point essentiel de la tradition du bouddhisme.
Le bouddhisme insiste sur le fait qu'il est important de n’être ni “théiste”, ni “nihiliste”. Ce pourquoi il est nécessaire de bien comprendre « Karma-vipaka », autrement notre approche du Dharma pourrait être, soit imprégnée de théisme (croyances), soit verser dans le nihilisme (matérialisme borné).
L’interdépendance est la condition sine qua non du fonctionnement de la vie dans sa globalité, c’est-à-dire qu'elle concerne aussi bien les phénomènes extérieurs qui se présentent à notre perception, que ce que nous ressentons dans notre propre existence intérieure. C’est l’ensemble de toutes ces dynamiques qui constitue le terme « Karma-vipaka ». Il ne désigne ni une “volonté supérieure” indépendante, ni un processus de coïncidence sans origine. En tant qu’individualité, nous sommes en quelque sorte producteur d’un “karma-vipaka”, notre propre esprit le crée.
Quand nous parlons de “l’esprit” nous n’avons pas vraiment une idée précise de ce dont il s’agit. Ici, nous ne nous référons pas au fonctionnement des cellules, mais à notre faculté de connaître. Celle-ci est multiple. Elle fait appel à la perception des cinq sens qui en elle-même est dénuée de concept. La perception n’est pas créatrice des phénomènes, c’est ce qui s’ajoute à la perception qui est créateur de phénomènes. Cette perception permet d’établir une connexion avec les cinq objets des sens (formes, sons, odeurs, goûts et le toucher). Tant que les cinq organes des sens sont présents, leurs perceptions sont également présentes. Si nous étions capable de percevoir la pureté de la perception à son origine, nous nous rendrions compte qu’elle est sans concept.
Ce qui interprète et crée le concept, qui est le second moment de la perception, est appelé la 6e conscience. Cette sixième conscience est basée sur les cinq premières consciences, elle est la source de tous les phénomènes. C’est cette conscience qui nous engage mentalement et physiquement, à entrer dans l’action. Cette 6e conscience se lie à l’une ou l'autre des cinq autres consciences, mais jamais à plusieurs au même moment. C’est la rapidité du processus qui donne la sensation d’une simultanéité globale. Tout ceci se ne limite pas à un concept théorique, mais peut être expérimenté, ce qui rend cet enseignement particulièrement précieux. Quand on fait l'expérience d'un objet, on peut le voir, l'entendre, le toucher, etc., mais si on se concentre sur une seule de ces consciences des sens, on se rend compte qu'on ne peut pas contempler les autres en simultané. Il est mentalement apaisant de se rendre compte de l’impossibilité d’expérimenter les cinq consciences en simultané.
L’état d’esprit inspirant la 6e conscience détermine la perception et la création des phénomènes. La bienveillance naturelle engendre une perception spacieuse et sans crispation, à l’inverse d’une disposition tendue sur une préoccupation exagérée et autocentrée qui développe une angoisse opaque, à tendance paranoïaque plus ou moins marquée. Et lorsque la haine, l’aversion surgissent (avec ou sans éclats colériques), il y a impossibilité d’avoir une perception claire de la relation d’interdépendance. De ce fait, quelque plaisant soit l'endroit où nous nous trouvons, si nous sommes imprégnés de rancœurs, nous n’arriverons pas à être en paix, la haine n’a pour seule issue que le désastre ! Ces deux orientations sont définies comme pôles positif/négatif en notre intériorité. Il existe trois modes d’expressions du positif et trois modes d’expressions du négatif. On peut faire l’expérience du pôle négatif en temps réel, quand on est dans un état d’esprit qui n’est préoccupé que de lui même, soit en tant qu’individu, soit à travers sa projection identitaire sur un groupe ayant une communauté d’intérêts partagés. Dans cette dynamique, bien que l’origine, la cause, soit minimale, sa résultante se démultiplie en force, ce qui est dans la nature même des phénomènes. On peut par exemple considérer une graine, qui donne une plante, qui elle-même ne reproduira, dans ce cycle, qu'un genre de graine similaire, etc ... et ce, quel que soit l’environnement circonstanciel.
De même que l’égocentrisme, dans son exclusivisme exagéré, ne produit que des résultats désastreux, l’oblatif bien mené engendre un épanouissement. Ce qui est ici montré, c’est l’aspect de continuité, d'évolution de ce qui est en germe vers ce qui va en être l'aboutissement, soit “le fruit”. Notre “état d’esprit” conçoit la motivation qui va s'acheminer vers un résultat. Or quand ce dernier survient, ce n’est plus “l'état d’esprit” initial qui est présent, mais sa continuité. C’est donc le continuum de notre conscience qui fait l’expérience du fruit. Ceci dit, ce continuum conserve son intégrité propre quoi qu'il advienne, il est en quelque sorte imperméable au processus qui se déroule, sa nature est de l'ordre du “non limité”. Ce que nous percevons aujourd'hui sous forme de phénomènes (plaisants/déplaisants et neutres/indifférents), n'est autre que l'expression de causes antérieures (graines). C'est ainsi depuis des temps sans commencement, cela est et cela sera pour toujours (en tant que manifestations animées). Quels que soient le lieu et les circonstances affleure ce champ d’expérience pénible. Seul l’aspect vacuitaire peut rompre ce processus inhérent à notre condition.
C’est dans “l’actualisation” de la vacuité que le bodhisattva déploie son activité imprégnée de compassion. Par ce biais, “l’état de bouddha ” présent depuis l’origine de la conscience humaine, peut se développer en notre propre continuum et se réaliser en apportant des bienfaits aux êtres de façon non limitée. Cet “état de bouddha” déploie une activité aussi illimitée que la Vacuité elle-même. La compassion, qui permet à cette activité de se manifester, est également sans mesure. "L'esprit d'éveil d'un bouddha", qui permet à cette compassion de se manifester, est pareillement infini.
Voilà donc ce qui constitue la voie du bouddhisme, et qui doit par conséquent être présentement étudié, pratiqué et poursuivi. Cela ne consiste pas à renforcer les tendances égocentrées, il n’en est vraiment pas besoin !
Merci de votre attention.
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Questions/réponses :
— Comment amener la 6e conscience au-delà du négatif/positif, quelle est la jonction possible avec la Vacuité ?
- Cela ne peut être effectué de manière conceptuelle et par l’intellect, sa réalisation se produit de facto par la réalisation de la vacuité et son corollaire fait que se laisser aller à la négativité est obsolète, dépassé, c’est le règne de la compassion.
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* Ce que nous en disent Arnaud Desjardins et Véronique Loiseleur, dans « La voie et ses pièges », pages 97, 98, Éditions La Table Ronde © 1992
https://www.babelio.com/livres/Desjardins-La-Voie-et-ses-pieges/128135
« Il faut bien voir, comme corollaire immédiat, que si je ne suis pas l'auteur des actions en ce qui me concerne, l'autre ne l'est pas non plus. Du point de vue du karma, ou plutôt des karmas, je suis mené par la force des choses, mais l'autre l'est aussi ; si je me trouve inséré dans des chaînes de situations, si mon karma se déroule inexorablement dans cette interconnexion de tous les éléments de la multiplicité, il en est de même pour l'autre.
...
Naturellement l'ego lui-même peut récupérer n'importe quel fragment de vérité à son profit pour mieux camoufler ses mensonges et justifier toutes ses faiblesses au nom d'une irresponsabilité métaphysique, dans une totale mauvaise foi. Nous ne pouvons pas nous emparer d'une idée quand elle sert notre égoïsme et la rejeter quand elle ne nous convient plus.
La vérité — délicate et dangereuse — c'est que l'autre est l'instrument de notre karma et nous sommes l'instrument du karma des autres. C'était son karma d'être blessé, selon ses propres chaînes d'actions et de réactions, et j'ai été l'instrument de son karma. Inversement, l'autre est l'instrument de mon karma ; c'était dans mes propres chaînes de causes et d'effets d'être victime de cet accident ce jour-là. Seulement tant que nous sommes ancrés dans le niveau de conscience habituel, c'est un peu facile de se dédouaner en déclarant : « Oh, c'était son karma ! » Cette manière de raisonner, reprise prématurément à notre compte, ne peut que nous faire du tort si nous sommes encore convaincus que c'est nous l'auteur des actions. On ne peut pas tricher avec des thèmes aussi graves.
Cette affirmation que nous sommes l'instrument du karma des autres et que les autres sont les instruments de notre karma, est notamment exprimée dans la si célèbre Bhagavad-Gîtâ. »
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Padampa Sengé (Père sublime de l’état de bouddheïté)
ou Kamalashilà
extraits, d'après Khetsun Zangpo R.
Enseignement de « L’apaisement de la souffrance » (Shidjè) ou le « Nœuds (vers litt.) de Diamant » doha donné à Dorjë Gyaltsen (Milarépa) lors de leur rencontre.
Le chant de l’apaisement de la souffrance
(3 racines de l’enseignement)
Réduire à merci toutes les influences négatives, les démons mâles et femelles, c’est établir la roue de la pratique ascétique
Lorsque les maladies affectent notre corps, nous devons mêler l’espace de la vacuité à celui de l’éveil
Lorsqu’une pensée subtile vient à poindre, on doit immédiatement écraser l’émotion négative
(2 façons d’entreprendre la pratique)
Demeurant dans la solitude, laissez votre éveil reposer dans toute sa nudité
Observer la nature de toutes les pensées qui surviennent
(3 façons d’éliminer les obstacles)
Si vous sombrez dans la torpeur, dissipez cette torpeur par l’exclamation PHET
Si votre esprit se projette vers l’extérieur, coupez-le à la racine
S’il devient sauvage, laissez-le reposer dans l’espace absolu
(3 façons de progresser en amenant toutes les circonstances sur la voie)
Lorsque votre esprit se projette vers les objets extérieurs et que nous examinons le sens de ces objets, le dharma sublime de l’apaisement de la souffrance est capable de transformer les circonstances négatives en prospérité pour la pratique
Lorsque les maladies surviennent, les utilisant pour progresser, quelles que soient les maladies qui surviennent, laissez-les venir à leur gré
Lorsque la mort survient, amenez-la sur la voie et que le Seigneur de la Mort fasse à son gré
(Conclusion)
Les enseignements sont l’essence de la connaissance à la fois des soutras et des tantras
« C’est là une transmission orale des instructions extraordinaires qui sont dignes de louange.
Ces enseignements sublimes de l’apaisement de la souffrance sont la connaissance, l’intention, des victorieux des trois temps.
Ces enseignements sont les paroles secrètes de Vajradhara.
C’est là la force vitale, le cœur des dakinis des quatre familles.
Ces instructions sont l’essence des quatre tantras.
Ces instructions sont comme la clé, la méthode de toutes les instructions extraordinaires. »
C’est ainsi le dharma sublime de l’apaisement de la souffrance
« Le souffle Ardent de la Dakini » - extraits
“le coin du pratiquant”
Dakini - le coin du pratiquant - .pdf
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traducteur Matthieu Ricard
(extraits et notes adaptées - décembre 2019)
— L’intellect et l’érudition ne sont pas suffisants pour élucider la concision de ces vers littéraires.
Padampa Sangye parcourut, semble-t-il, cinq fois le Tibet et alla deux fois en Chine. Ce ne fut que lors de son troisième voyage au Tibet qu’il put enseigner « L’apaisement de la souffrance ».
Ces instructions se divisent en trois parties dites : “Ancienne” - “Moyenne” - “Postérieure”.
Ses pérégrinations l’emmenèrent ensuite en Chine, et il revint pour la quatrième fois au centre du Tibet. Puis il s’en retourna en Chine à nouveau où il eut comme successeurs sept grands “Mahāsiddha” ou les “sept générations de siddha de Hashang”. Par Hashang, on désigne les moines bouddhistes de Chine ; ceci par opposition avec “Hoshang” (chinois qui suivent l'enseignement bönpo pré-bouddhique du Tibet). Padampa est parfois assimilé à Bodhidharma.
Il est dit qu’après ces “sept générations de siddha de Hashang” la lignée fut interrompue. A l’occasion du fameux débat qui se tint à Samyé entre les “bouddhistes” et les détenteurs de la tradition “Hashang”, on en était à la huitième génération, où il n’y avait plus de siddha parfaitement accomplit. Ceci vise à essayer de situer les événements dans le temps, mais cela est très difficile car des récits relatent comment Padampa Sangye et Milarépa se rencontrèrent, comment ils échangèrent des “dohà”, et comment Padampa transmit à Milà-djè « L’apaisement de la souffrance », et cela se produisit au XIe siècle, ce qui semble indiquer que Padampa Sangye vécut jusqu’à cette époque.
Un autre nom de Padampa Sangye est Kamalaśīla, à différencier d’avec celui du fameux « Débat de Samye ». Nous sommes là dans le récit allégorique.
Ainsi l’enseignement « L’apaisement de la souffrance » est à l'origine de l’une des huit principales lignées spirituelles qui furent répandues au Tibet. Ces huit Lignées sont : tout d’abord la lignée Nyingmapa (les anciens, premières traductions anciennes), puis les Sakya, les Kagyupa, les Shangpa-Kagyu, la lignée Kadampa (Gelugpa), le Shidjè (ou l’apaisement de la souffrance), le Tcheu-yül, puis le tantra de Dukyi Korlo (Kalachakra) et enfin la pratique des Trois Vajras du siddha Ourgyenpa. Elles sont désignées comme les « huit grands chariots » répandus au Tibet.
Les enseignements de « L’apaisement de la souffrance » donnent leur nom à cette lignée. Le nom de cette lignée vient donc du sens et du contenu des enseignements qu’elle transmet. En effet, le nom d'une “Lignée spirituelle” peut avoir différentes origines. Elle peut être nommée d'après des nom de lieux (là où elle à commencée), ou bien encore selon le contenu de ses enseignements. Ceci est valable aussi bien pour le Tibet que pour l'Inde etc... Ici il s’agit du contenu des enseignements de "L'apaisement de la souffrance" et du “Tchöd” (litt. couper). La lignée de l'apaisement de la souffrance propose de prendre toutes les circonstances de la vie comme “la Voie” et d’apaiser toute souffrance par la compréhension de la vue absolue. Le Tcheu, lui, signifie “trancher” la crispation des émotions gravitationnelles liées à l’identification comme réalité figée, il propose de ne plus voir les choses au travers d’une saisie narcissique outrancière, et ce dans une approche graduelle ou parfois subite.
Sur quoi repose “la vue” de « L’apaisement de la souffrance » ? Elle repose sur “la vacuité”, qui elle-même est issue de l’ Abhidharma*. Généralement, on considère que les enseignements de « L’apaisement de la souffrance » combinent à la fois “la Lignée de la vue profonde” et “la Lignée de la vaste action”. En effet, les enseignements du Bouddha se sont développés suivant deux aspects principaux : celui de “la vue profonde” (vacuité, Nagarjuna/Mâdhyamika) et celui de “la vaste action” en relation avec l’activité du bouddha du futur (Asanga, méditation sur Maitreya), soit vers les contrées symboliques de “Tushita”. Le Shidjè est dit unir les deux lignées. Cette pratique se propose donc d’éliminer les “klésha”** (ce qui obstrue) de notre conscience et de son flux d’énergies spirituelles pures de façon rapide par la voie des mantra-yana secrets et des “moyens habiles”. Ceci est la quintessence du Mâdhyamika aux six traités, du Mâdhyamika-prâsangika et des cinq dharma de Maitreya.
Le 1er Panchen-Lama (15e siècle) a écrit que si l’on examine les résultats de la pratique de « L’apaisement de la souffrance », du Mahàmoudra, du Dzo-tchen ou “Grande Perfection” et du Mâdhyamika, on s’aperçoit qu’ils sont uniques en essence dans la pratique profonde, et qu’il ne s'agit pas de choisir une voie au détriment d’une autre car elles offrent toutes la même vue ultime et le même résultat.
Milarépa, à l’écoute de ce “dohà” éprouva une immense joie, car il réalisa que c’était un exposé parfait de la “vue claire” qui pouvait apporter un grand bien à toute sa lignée spirituelle, et c’est donc avec un cœur emplit de joie qu’il entendit ce “chant de vajra”.
Ainsi, au fil des vers qui suivent, la pratique du Shidjè (destinés à être mis en pratique dans la vie de tous les jours) va prendre tout son sens.
Bien que ce chant soit concis, l’on peut y reconnaître 5 parties :
- 1) les trois racines de l’enseignement (le sens des vers, “l’éradication de la saisie mentale”)
- 2) les deux façons d’entreprendre la pratique
- 3) les trois façons d’éliminer les obstacles sur la voie
- 4) les trois façons de progresser sur la voie en amenant toutes les circonstances sur la voie
- 5) Conclusion de l’enseignement de Padampa
« Le chant de l’apaisement de la souffrance »
(1 - Les 3 racines de l’enseignement)
a) — Réduire à merci toutes les influences négatives, les démons “mâles” et “femelles”, c’est là établir la roue de la pratique ascétique. Il s’agit ici de se situer au-delà des concepts de “samsàra” et “nirvana” ; quand il est question de démons “mâles” et “femelles”, il ne s’agit pas forcément de perceptions venant de l'extérieur mais des processus narcissiques névrotiques d’un attachement exagéré à notre personne, notre condition “identitaire”. Ce sont ces champs émotionnels en gravitation qui doivent être jugulés.
b) — Lorsque les maladies affectent notre corps, nous devons mêler l’espace de la vacuité à celui de l’éveil. L’évocation des termes “espace” et “vacuité” concerne le Thögal (litt. : franchissement du pic), délicat dans sa mise en œuvre pour une personne de peu d’expérience à ce sujet. L’espace/vacuité est omniprésent et la “conscience claire” fait référence à une disposition naturellement présente de l’éveil/pleine conscience qui survient d'elle-même et qui se trouve en notre intimité la plus profonde. Selon les soutras, rigpa désigne une faculté d’intelligence et de compréhension. Selon les mantrayana dit “secrets” (qui perdent de leur efficacité si ils sont divulgués à mauvais escient), elle est notre conscience claire qui se révèle au-delà de la pensée discursive. Parler “d’amener les maux” en mêlant la compréhension de l'espace/vacuité à la conscience claire se situant au-delà de la pensée discursive est la façon la plus simple d'exprimer l'essentiel de ce dont il s’agit ici ; aborder ce sujet plus avant serait présentement inapproprié.
c) — Lorsqu’une pensée subtile corrosive vient à poindre, on doit immédiatement se distancier de cette émotion nocive afin de l’annihiler, de ne pas lui laisser prendre de force et d’ampleur, auquel cas il serait beaucoup difficile de lui faire face. C’est pourquoi il est important d’avoir la vigilance nécessaire pour se rendre compte dès son surgissement de l’insubstantialité de la pensée gravitationnelle, de son inanité qui ne se nourrit que dans le bric-à-brac du mémoriel d’émotions ressenties dans un passé évanescent ayant tracé des sillons d’habitudes.
(2 - Les deux façons d'entreprendre la pratique)
Deuxième aspect des enseignements : les façons de s’établir dans la pratique.
— la première est d’établir la vue “ultime”
— la seconde est de préserver la continuité de la pratique
Dans nos relations, il est bon de garder un œil attentif sur nos modes d’expressions avec autrui, et quand on est seul il est bon de veiller sur notre état d’esprit, d'observer la nature de toutes les pensées qui surviennent.
Le vers racine dit : Demeurant dans la solitude, laissez votre conscience/éveil reposer dans toute sa nudité. Ceci se réfère à la vue “ultime”, hors des sillons mémoriels, au fait de maintenir la perception de la clarté de l’esprit naturel dans son équanimité, de mêler notre esprit à la réalisation de l’éveil dans sa vacuité originelle.
Observer la nature des pensées qui surviennent, souvent contradictoires : si nous n’identifions pas à temps ces proliférations intempestives, dans cette agitation nos actes deviennent emplis de confusions, inachevés. Ils suivent une inclination émotionnelle “du connu”, donnant l’illusion d’une “rassurance”, qui paradoxalement nourrit un état “d’inquiétude” flou.
Comment, alors, allons-nous nous donner les moyens de traiter la situation ? Il s’agit de “libérer” les pensées dès leurs apparitions, c’est-à-dire de les dissoudre dès l’émergence, de la même façon que disparaissent des dessins fait avec un doigt à la surface de l’eau. Il en va de même si nous identifions la pensée pour ce qu’elle est, elle ne peut se “nourrir” à notre insu dans le bric-à-brac de nos émotions mémorielles ; de cette façon, elle reste neutre et n'entraîne pas de conséquences.
Ceci est une instruction dite « extraordinaire » de Padampa : percer d’un regard la nature de la pensée surgissante.
Avant l’exposé des douze volumes de la « prajñāpāramitā » (les éléments les plus connus en sont le Sūtra du Cœur et le Sūtra du Diamant) de Nāgārjuna (IIe - IIIe siècle, fondateur de l'école Mâdhyamika), la diffusion du bouddhisme mahāyāna connut de nombreux obstacles sur le sol de l’Inde :
— Le premier vint d’un yogi mendiant qui fut traité avec mépris à la porte de “l’université bouddhique” de Nalanda et en conçu une grande rancœur. Il formula le vœux de nuire autant qu’il le pourrait aux enseignements bouddhiques. Il finit par incendier l'université de Nalanda et de nombreux autres temples et universités.
— Vint ensuite le moine bouddhiste gandharais Vasubandhu (env. IVe–Ve siècles) , qui nourrit une profonde jalousie envers son demi-frère Asanga (assimilé par la tradition bouddhique au bodhisattva Maitreya, qui serait selon ce point de vue son inspirateur). Vasubandhu finit cependant par concevoir quelque intérêt pour les enseignements du Mahāyāna. Il finit par exercer une influence importante sur le “bouddhisme vajrayāna”, et s'associa dès lors avec Asanga pour enseigner cette voie (“yāna”).
Padampa s'inspira donc de ces deux sources - la Prajñāpāramitā de Nāgārjuna et les cinq dharmas de Maitreya - pour composer « Le chant de l’apaisement de la souffrance » qui contient à la fois l’approche graduelle et une révélation plus instantanée. Il y a donc, au sein de ce chant, deux sortes d’enseignements. L'un s’adresse aux esprits qui ont besoin de suivre une progression stable (“Vinaya” ou discipline monastique), et l'autre à ceux qui peuvent supporter une approche plus “directe” et aller plus promptement. Le Bouddha prit ainsi la forme de Guhyasamāja(1) pour introduire le roi Indrabodhi du Zahor ( Sahora selon Gendun Chopel, ou la mythique Oddiyana) à la nature fondamentale de l’esprit. Le roi atteignit instantanément la réalisation totale. Il joua ensuite un rôle essentiel dans la transmission initiale des enseignements du Vajrayana. C'est de là que vient la tradition, dans la Lignée Nyingmapa, de sanghas de pratiquants se réunissant en faisant le vœu d'atteindre ensemble la réalisation. Le roi Indrabodhi est un rare exemple de réalisation instantanée.
L’approche graduelle est la voie la plus couramment empruntée par le commun des mortels. En clair, cela veut dire que les obscurcissement qui masquent « la connaissance » se dégradent au fur et à mesure de l’évolution de la personne. Et cela plus particulièrement lors des pratiques du vajrayana où nous visualisons notre corps évanescent comme support du mandala des “Ydam” qui se trouvent dans les différents centres neurophysiologiques, neuropsychiques de notre organisme. Ainsi se résorbent peu à peu les obscurcissements liés à la gravitation narcissique des émotions diverses par le biais d'une perception limpide, profonde, et ainsi se dissipent nos comportements aveugles.
(3 - Les 3 façons d'éliminer les obstacles sur la voie)
— Les 3 façons d’éliminer les obstacles ou déviations qui se présentent au pratiquant.
L’un de ces obstacles est de s’adonner au calme intérieur dissocié de la vue ; suivant les enseignements du mantrayana, la vue ou compréhension de la nature ultime de toute chose et de l’esprit, doit être nécessairement présente afin d’atteindre la réalisation.
Bien que la pratique de śamatha (ou shiné en tibétain), qui désigne dans le bouddhisme la « tranquillité de l'esprit » ou « quiétude », procure le calme nécessaire des pensées du mental permettant de comprendre la nature de la vue, y demeurer est une erreur.
« Si vous sombrez dans la torpeur, dissipez cette torpeur par l’exclamation PHET »
Si votre esprit se projette vers l’extérieur, coupez-le à la racine
S’il devient sauvage, laissez-le reposer dans l’espace absolu »
“PHET” est l’expression de la connaissance et de la méthode qui dissipe la somnolence de la quiétude dans la méditation. Cette exclamation, ainsi qu’il est dit dans les 3 points qui introduisent à la nature de l’esprit de Dza Patrul, doit être émise avec une force tranchante et percutante ; comme c’est là une instruction essentielle du vajrayana, elle doit être mise en œuvre dans un cadre situé à l’écart de toute interférence humaine afin d'éviter les incompréhensions diverses préjudiciables à la pratique en question ! Son émission doit se produire de manière soudaine pour qu'à l'instant même tout ce qui obscurcit notre “Claire Conscience” soit immédiatement dissipé.
La pratique des “mantras secrets” insiste sur l’union de śamatha (calme intérieur) et de vipassanā ou lhaktong (vue profonde/vision vaste). Il n’est cependant pas aisé d’associer ces deux aspects lorsqu’on met cette méditation en place. Il est donc généralement recommandé de commencer par l’établissement du “calme mental”. Il est toutefois important d’avoir présent à l’esprit que les diverses expérimentations qui peuvent naître de cette méditation ne sont en aucun cas un aboutissement. Si nous nous complaisons en elles, cela peut devenir une source de difficultés.
Nous pouvons par exemple expérimenter une forme d’absorption dans une “félicité” qui nous fait perdre le sens des réalités objectives. Nous pouvons aussi accéder à une clarté de l’esprit où tout mouvement, tout ce qui se passe autour de nous, est perçu avec une acuité sensible très affinée. Nous sommes alors dans une vague torpeur, mais nous gardons en même temps une perception claire de ce qui est en train de se produire, nous éprouvons comme une “transparence” des phénomènes. Peut également survenir une expérience de la vacuité au sens d’une absence de pensées discursives. Nous pouvons alors nous retrouver dans un état où tout semble avoir perdu sa consistance “solide”. Nous baignons dans une inconsistance vide, éthérée et translucide, bien que nous puissions toujours palper la réalité objective de ce qui est présent. Ce qui constitue un obstacle, dans ces cas-là, c'est que nous avons l'impression que nous pourrions rester indéfiniment dans ces champs d’expériences.
Si nous attachons une valeur intrinsèque à ces champs d’expérience, nous sommes sous l’emprise d’illusions et dans une déviation totale. Une fixation sur ces états de béatitude, de clarté et d’espace, ou de vacuité considérés comme un aboutissement, empêche l’éradication du flux gravitationnel qui induit une identification à une réalité figée appelée “samsara” (terme sanskrit signifiant “ensemble de ce qui circule”), figée dans le sens d’une “force de conditionnements” incessante, qui ne cesse de s’auto-engendrer.
Il convient donc d’utiliser cette exclamation de la syllabe “PHET”, qui est l’expression de la connaissance et de la méthode, pour annihiler les fixations nées de ces expériences. Voici une image qui peut donner une perception de ce qui se passe : au même titre qu’une cascade baratte en permanence le fluide du ruissellement de l’eau, une méditation bien conduite déstructure continuellement l’idée d’acquisitions figées, la turbidité des eaux garantit leur fraîcheur et leur pureté bienfaisante et régénératrice.
Afin de dissiper les attachements que nous pouvons avoir à l’égard de ces expériences, nous allons fixer notre attention sur elles tout en énonçant cette syllabe “PHET” dans la posture conforme au Mahamoudra, afin de revivifier le champ des expériences méditatives de notre conscience humaine en les éclatant en morceaux. Comme fruit de cette pratique, nous obtiendrons une vue élargie, la perspective d'une vacuité libre de toute fixation à l’existence phénoménale, donnant accès à la joie vraie de la limpidité d’être ...
Nous allons maintenant aborder l’esprit en projection sur l’objet extérieur qui doit être coupé à la racine. Un des problèmes majeurs dans le “samādhi” est la constance de l’esprit à vouloir se projeter vers la perception extérieure, ce qui actionne l’enchaînement de la pensée discursive et son brouhaha de fond. La perception visuelle va par exemple s’attarder sur l’interprétation et l’appréciation des formes, des couleurs, etc... de la même façon, les sons vont nous distraire quelle que soit leur tonalité agréable ou désagréable… les odeurs diverses, le contact du toucher également. Les consciences des cinq sens font ainsi naître des distractions constantes, sollicitant l’esprit, l'emportant dans des interprétations mentales et nous faisant perdre la stabilité de la centration en le “samādhi”. La perception des cinq sens engendre donc un réactionnel dans lequel on distingue deux processus principaux : l'attirance et le rejet (on peut y ajouter l’indifférence, la neutralité opaque), qui sont les forces motrices du “samsāra”. L’idée est de couper court à ce flux incessant du mental cause d’habitudes aliénantes.
S’adonner à la compulsion de l’aversion, qui est en somme une forme d’attachement narcissique en négatif, nous lie en permanence aux états mentaux douloureux et nous enferme dans l’isolement. A quoi bon faire alors des “souhaits de bonheur” ! C’est une disposition d'esprit incohérente, où tout en affirmant vouloir aller dans une direction, nous en choisissons l’opposé…
La perception comporte trois facteurs d’accumulation de “karma-Vipāka” :
— “l’objet extérieur”
— les organes sensoriels qui perçoivent “l'objet extérieur”
— Et la conscience qui fait l’expérience de ces perceptions “objectives” et pragmatiques
Dans ce processus, qu’est-ce qui accumule “karma-Vipāka” ? S'agit-il d'une accumulation globale ou distincte ? Dans le second cas, cela laisserait entendre qu'il existe trois flux particuliers, ce qui semble invraisemblable. Une accumulation simultanée donnerait lieux à un état confusionnel.
Si l’on considère la question de savoir quel est le réceptacle de “karma-Vipāka”, cela ne peut donc être ni "l'objet extérieur", l'organe des sens et la conscience conçus tous trois comme une unicité identitaire, il n'y aurait alors plus de distinction entre sujet et objet et plus de perception possible; ni chacun d'entre eux considéré comme totalement séparé des autres, car toute interaction serait alors impossible. Ce qui revient à dire que le réceptacle n'équivaut ni à une unité ni à une multiplicité. Alors qu’en est-il ? Le processus de la perception se déclenche quand ces trois facteurs se réunissent momentanément. C'est un simple phénomène de causalité, d’interdépendance, d'enchaînement. Il est “vide” par nature, n’ayant pas en lui-même d’existence propre. Nous sommes donc amenés à comprendre que ce qui se passe n’est rien d'autre qu’une expression d’insubstantialité. Si nous pouvons exprimer le fait qu'en elle-même la perception est un “espace en vacuité”, alors il n’y a plus vraiment lieu de manifester de fixation vis-à-vis du perçu dans la trilogie attachement/indifférence/répulsion. Nous avons ainsi élucidé, en la supprimant à la racine, l’idée “identitaire gravitationnelle” se projetant vers une extériorité tangible, obstruant l’état de contemplation profonde de l’être.
Il y a corrélation entre la notion d'interdépendance et celle de “vacuité”. C’est en s'appuyant sur les fixations de l'esprit que les perceptions identifient les objets extérieurs comme étant séparés et dotés d'une existence propre; ce même processus nous pousse également à percevoir les six consciences des sens comme recelant une identité quelconque.
« Si votre esprit devient sauvage, laissez-le reposer dans l’espace absolu »
Nous pouvons nous demander quelle est la différence entre un esprit se projetant vers un “extérieur” et un esprit “en friche”. L'extérieur est l’expression de la saisie identitaire liée au mental, la "friche" en est sa dérive addictive. Dans cette configuration aliénante, Padampa recommande vivement de poser l’esprit dans son espace-vacuité naturel, qui est sa nature profonde. Libéré des pensées identifiantes incessantes, il reste dans un état de simplicité limpide, non encombré. Il n’est point besoin de surcharger ce qui est par nature en notre esprit d'un additionnel intellectualisant pour le rendre plus paisible, il est bon de le laisser se reposer en cette nature. Une rivière limpide, n’a pas besoin que l’on en remue le fond pour y voir plus clair, on obtiendrait adonc l’inverse. Dès lors, si l’on veut apaiser le bruit de fond des pensées identifiantes incessantes, point n’est besoin de créer une activité mentale superflue, mais simplement de tout laisser tomber …
Rajoutons ici un point supplémentaire ne se trouvant pas dans les vers-Racine du “doha” de Padampa à Milà-djè : non seulement nous devons laisser les pensées identifiantes reposer dans l’espace absolu, mais lorsque l’une d’entre elles survient, nous devons aussi la “fixer du regard” afin de la laisser disparaître. S'il y a absence de vigilance lorsque survient cette pensée, s'il y a absence de conscience de cette pensée, cette dernière va en entraîner une autre, et une autre, et ainsi de suite... la dynamique de la projection “karmique” va s’accumuler. L’attention exercée sur le surgissement de la pensée en réduit beaucoup la force, et à terme, la fait disparaître en tant que “pensée identifiante”. Elle ne générera plus de pulsion dans le processus “karma-Vipāka”. Et dans cette configuration, la pensée sans fixation identitaire est devenue neutre, car il y a un rapport étroit entre l’espace de plénitude et la simplicité d’être (tout comme il y en a un entre un mental encombré et un mental en friche, fait de tensions, générant une forme d’angoisse insidieuse). Nous n’avons donc plus à nous préoccuper de conséquences fâcheuses.
Nous arrivons à la quatrième partie :
(4 - Les 3 façons de progresser en amenant toutes les circonstances sur la voie)
a) — comment prendre les circonstances adverses pour les transmuter en “prospérité” dans notre praxis.
« Lorsque notre esprit se projette vers les objets extérieurs et que nous examinons le sens de ces objets, le dharma sublime de l’apaisement de la souffrance est capable de transformer les circonstances négatives en prospérité pour la pratique »
Les enseignements de Padampa contiennent des instructions peu ordinaires qui permettent de réussir à éliminer complètement les douleurs inutiles en perçant d’un regard fulgurant la racine de leurs natures.
Comment donc, dans ce cadre, aborder les circonstances pénibles et défavorables ?
Il s’agit d’un tour de force qui transmute le dynamisme tordu en énergie salvatrice ! C’est un peu comme quand un incendie de forêt se déclare, et que n’ayant d’autre recours, nous déclenchons un contre-feu porté par le vent pour créer une zone brûlée avant l’heure afin d’empêcher l’alimentation et la propagation dudit incendie. C’est un exercice qui demande une grande maîtrise et une connaissance parfaite de la situation.
Dans cette perspective, le processus de la pensée n’est plus une difficulté, juste un outil pratique. Et pour citer Machik Labdrön, disciple de Padampa : « plutôt que d’être sauvegardée des nuisances, que celles-ci m’utilisent ! » ; ce qui implique une grande maturité dans la praxis car les risques sont grands de se perdre dans la démence. Cela ne peut en aucun cas être recommandé dans le cadre de personnalités immature, ce serait tout à fait inapproprié ! Car il s’agit d’accepter jusqu’à l’inacceptable, et ce dans une perspective bien définie et précise : le renversement de la gravitation émotionnelle d’un narcissisme classique et naturel de préservation. En fait, il s’agit de dépasser le stade de notre humanité infantile et de devenir Humain ! Quoi qu’il advienne, nous savons que cela va servir de combustible à notre évolution spirituelle, nous n’en éprouvons donc pas plus que cela de préoccupations particulières. Nous acceptons ce qui arrive et nous agissons au mieux, nous nous soignons convenablement, avec l’idée d’un “bien global” salvateur, sans nous poser vraiment de questions existentielles.
b) — comment utiliser nos maux afin d’évoluer.
Lorsque les maladies surviennent, les utilisant pour progresser, quelles que soient les maladies qui surviennent, laissez-les venir à leur gré.
Au lieu de s'en remettre aux “invocations” et autres prières, il est bon d'observer ce qui arrive à la lumière de notre praxis - ici, à travers le prisme du refuge traditionnel dans les 3 joyaux et pour les personnes que cela concerne, dans les 3 racines. Il est cependant de notre responsabilité d'appliquer les traitements médicaux appropriés à notre maladie. Nous englobons ainsi tous les soins que nous recevons comme reflet de l’activité compassionnelle de la spiritualité qui vit en nous. De ce point de vue, nous pouvons considérer que les atteintes à notre intégrité physique ou morale, peuvent être transmutées en macération et réflexions pour avancer dans notre cheminement intérieur.
c) — comment amener notre fin de vie dans sa dimension éventuelle de conscience spirituelle.
« Lorsque la mort survient, amenez-la sur la voie et que le Seigneur de la Mort fasse à son gré »
Réfléchir à l’impermanence des choses est la racine de l'esprit de renonciation aux diverses vanités de ce monde. C’est là que gît l’authenticité d’une praxis spirituelle, ici le Dharma de Siddhārtha Gautama. Sans avoir cette réalité de l’évanescence des choses présente à l’esprit, il est peu probable que notre praxis s’enracine dans une authentique démarche spirituelle profonde, et nous risquons fort de demeurer dans une implication de surface, superficielle. Une telle attitude de façade, non seulement ne portera pas de fruits tangibles, mais deviendra un réel problème pour soi comme pour l’entourage. Mieux vaut alors s’impliquer dans autre chose, en essayant de le faire bien ! Dza Patrul nous enseigne que lorsque nous sommes confrontés aux inévitable chagrins et pertes, circonstances où les “attachements” sont prépondérants, nous en ressentons de l'affliction, mais au fil du temps, nous avons tendance à “oublier”, dans le sens où nous ne saisissons pas là l’occasion de regarder en face le contenu réel de notre existence. Si bien que la tendance à développer à nouveau de forts “attachements” répétera ce processus dans lequel notre émotionnel nous domine, et nous n’en tirerons ni sagesse ni bienveillance envers le vivant dont nous faisons parti. Jetsun Milàrépa exprime ceci : « Poussé par la pensée de la mort, je suis venu dans les solitudes de montagne, j’y ai médité, et maintenant lors de la venue de cette mort je ne suis pas assailli par les peurs. »
Mettre en œuvre une praxis spirituelle tout au long de son existence permet d’aborder sa fin, avec sérénité. Ainsi la voie Kadampa dit : l’idée de la mort amène à la praxis; cette réalité de l’évanescence des choses aiguillonne tout au long de notre vie la réflexion et le recueillement sur celle-ci; abordant sereinement, naturellement et sans angoisses la venue de la fin de cette vie, nous aurons l’opportunité de vivre et d’amener cette mort sur le chemin de la paix en soi.
(5 - La Conclusion ...)
« Ces enseignements sont l’essence de la connaissance à la fois des soutras et des tantras »
Les instructions de Padampa sur « L’apaisement de la souffrance » sont la quintessence des soutras et des tantras. Quintessence des “soutras” puisqu'ils reposent sur les enseignements de la “prajñāpāramitā” et de “l’abidharma” et établissent avec certitude la vue de la vacuité. Quintessence des tantras car à cela s’ajoutent les “moyens opportuns” ou “expédients salvifiques” du mantrayana qui permettent le développement et la réalisation rapide de cette vue (mais pas sans risques donc), au travers des quatre Abhisheka (transmissions) des tantras supérieurs et des “méthodes habiles” qu’offre le vajrayana.
Étant donné qu'ils présentent une grande efficacité, ces derniers doivent être mis en mouvement de façon correcte. Il est nécessaire, après avoir reçu les transmissions d’un représentant digne de ce nom, de préserver le “samaya” (vœu, promesse solennelle où l'on s'engage à mener à bien une Sâdhana[3]). C’est à dire que comme dans toute praxis spirituelle jalonnée de liens spécifiques, soit on avance, soit on régresse ! D’où la nécessité d’avoir une relation juste et équilibrée avec le maître et le "mandala" dans cette voie.
Il est dit que ces enseignements de transmission orale, qui ont circulé depuis Padampa jusqu'à nos jours à travers une Lignée ininterrompue, sont la force vitale chaleureuse en « grâces », le cœur des “dakinis” des quatre familles et qu'elles nous assisterons dans notre quête spirituelle.
Ces enseignements, qui permettent d’établir la vue avec certitude, de pratiquer la voie de façon authentique et d’actualiser le fruit, sont une bonne représentation de la connaissance des “bouddhas des trois temps”.
« Ces enseignements sont les paroles secrètes de Vajradhara », soit l’essence des “mandala”, qui dans l’école Nyingmapa est représentée par Dorjë Sempa. En fait, dans l’espace de la connaissance, tous les différents aspects des bouddhas sont Un.
L'expression “paroles secrètes”, renvoie à la profondeur nécessaire pour la pratique et l'approche de cette nature de l’absolu. Par conséquent, elles s’adressent aux personnes qui souhaitent authentiquement mettre en œuvre ce “travail”, en toute maturité d’être.
Il est dit aussi que là se trouve le cœur des “dakinis” des quatre familles, c’est-à-dire les “dakinis” qui manifestent les quatre activités ; en effet, afin qu’elles puissent être menées à terme, la méditation et l’action de « L’apaisement de la souffrance » sont sous leur “protection”.
Ces enseignements mettent en lumière les points vitaux de la tradition orale, de ces savoirs qui sont comme la clé, la méthode pour mettre en œuvre toutes les instructions extraordinaires. Ils sont à la fois profonds et propres à être directement transposés en action pratique, ils représentent toute la quintessence des instructions fondamentales de la transmission orale.
On peut considérer que ces instructions sont comme différentes rivières qui se rejoignent en un seul fleuve.
Ainsi est le Dharma sublime de Shidjè, car en effet il est complet en soi.
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Abhidharma — littéralement « La corbeille des commentaires », « La doctrine spéciale » ou encore « au-dessus de l'enseignement » — est la dernière partie des textes canoniques, le Tipitaka, consacrée aux exposés psychologiques et philosophiques de l’enseignement du Bouddha.
Plus précisément, l'Abhidhamma traite de la cosmologie, de l'analyse psychologique, de la classification des phénomènes et de la métaphysique.
Généralement, les chercheurs datent ce texte aux alentours de l'an 300 avant notre ère, c'est-à-dire vers le premier concile bouddhique. Cependant pour certains, l'approche historique fait penser qu'il a été rédigé après les deux premières corbeilles.
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obscurcissement du mental : un processus mental secondaire résultant d'une attention incorrecte et ayant pour fonction d'obscurcir
(1) https://www.himalayanart.org/images/items/resized/535px/3/4/9/34934.jpg
(2) « Grains d'or : Le récit d'un voyageur cosmopolite » (Presses de l'Université de Chicago, 2014), p. 259.
(3) https://hridayartha.blogspot.com/2019/11/une-carte-nest-pas-le-territoire.html
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“karma-Vipāka” ; une approche de la Vacuité
Khenpo Tubten
“karma-Vipāka”, une introduction à la Vacuité; extraits, d'après Khenpo Tubten
(trad. Mathieu - extraits et notes adaptées - janvier 2020)
Il convient en premier lieu de développer un état d’esprit lié à la « bodhicitta » (1), et d'adopter une attention et une écoute qui soit la plus limpide possible.
Il y a trois sortes d’attitudes ou dispositions :
- dispositions de rejet, négatives
- dispositions indifférentes ou neutres
- dispositions intéressées, positives
Les deux sortes d’attitudes positives :
La première consiste à se préserver de “l’angoisse” et la seconde à générer une aspiration excellente. Il est important, à ce stade, d’observer quelle est notre motivation profonde, afin de discerner si ce ne sont pas des causes impropres, voire mineures (buts mondains par exp.) qui nous poussent vers l’intérêt et l’écoute de la doctrine. Les Trois joyaux (et éventuellement les Trois Racines) peuvent être invoqués pour pacifier des situations adverses qui obstrueraient la praxis. Ceci dit, quand bien même ces souhaits seraient exaucés, cela ne prouverait pas en soi la “validité” de la nature du développement de la conscience d’Éveil en nous.
L’excellente motivation se situe à plusieurs niveaux :
Elle ne consiste pas vraiment à pratiquer pour se débarrasser de ce qui afflige notre existence présente, mais plutôt à mettre en œuvre la doctrine pour comprendre les processus aliénants qui mènent à l’affliction et pour trouver pour soi et pour autrui les méthodologies permettant de développer un état d’être harmonieux procurant la paix en soi au profit des êtres animés et non-animés. Cette dynamique offre une “vision du devenir” généreuse, ouverte, et puise dans la constance sa force. Elle ne génère cependant pas de facto le processus de la libération réelle des causes de la souffrance.
La motivation d’indifférence se réfère à une absence de dispositions : nous prêtons une oreille distraite et lointaine à l’énoncé du “dharma” pour combler l’ennui de notre vie, ou parce que c’est “à la mode”, ou bien encore parce que nous accompagnons sans conviction aucune quelques personnes de connaissance… c’est une attitude neutre.
Quel que soit l'horizon que vise notre motivation, l’authentique praxis de la « bodhicitta » est seule garante du développement de notre cheminement (“sādhana” dans le vajrayana, que pratique le/a sādhaka[i] qui est tourné/e vers “l’illumination” de son être). Si l’on cherche la différence essentielle qui existe entre, d'une part, les personnes qui ne sont préoccupées que d’elles-mêmes et du cercle étroit de leurs intérêts divers, et d'autre part les êtres engagés dans une vie de “bodhisattva” orientée vers la réalisation de l’idéal de bouddhéité, on la découvre dans le fait d'être habité en permanence par un état d’esprit bienveillant envers autrui, quelle que puisse être la situation, de ne pas se laisser aller à l’animosité ou à l’indifférence. C’est fondamentalement la pierre angulaire qui structure une vie spirituelle, tout dépend de cet aspect réel.
Si nous avons le grand courage d’observer notre orientation d’esprit au jour le jour à ce sujet, nous devrons convenir que bien souvent, trop souvent, cet esprit de bienveillance nous fait défaut et laisse la porte ouverte à du réactionnel déplaisant ! Ceci vaut pour nous, ceci vaut pour les autres, nous sommes toutes et tous logés à la même enseigne quoi que nous puissions en penser ! Il y a donc un énorme “travail” de fond à opérer, et cela ne va pas de soi ! Notre vie présente est de ce point de vue très précieuse et c’est une opportunité inestimable d’avoir accès à la métamorphose de l’être à travers l’enseignement reçu auprès d’un maître ayant parachevé en lui-même l’état de bouddhéité (Samâdhi), car cela reste exceptionnellement rare !
Nous allons maintenant définir plus particulièrement ce qu’est la « bodhicitta ». C’est un sujet très vaste et difficile à énoncer en quelques mots. Cependant, si l’on veut en résumer l’essence, on peut se référer à Maitreya Nata qui a dit :
La « bodhicitta » c’est souhaiter atteindre la bouddhéité pour le bien d’autrui.
Cette « bodhicitta » a deux aspects :
Le premier de ces aspects est porté par la compassion vers les êtres. Il consiste à faire le vœu de générer en notre esprit l'aspiration à pouvoir leur apporter une aide signifiante. C'est le souhait d’établir les êtres au-delà de la souffrance, dans la bouddhéité parachevée. C’est là le but ultime.
Le second de ces aspects est porté par la connaissance vers l’illumination parfaite.
Si nous savons engendrer une telle attitude, et que nous la posons sur tout acte que nous accomplissons, nous donnons à ce dernier une valeur accrue et une grande efficacité altruiste. Cette attitude est donc la préparation nécessaire à tout acte et à toute pratique.
Ces actes “inspirés” présentent de nombreux aspects. Pour ce qui concerne la praxis en le Dharma c'est l'amélioration progressive de la clarté de notre esprit qui prévaut. Il existe nombre de préceptes qui doivent être observés et il existe aussi de nombreuses voies qui peuvent être pratiquées. Si l’on veut s’en tenir à l’essentiel, envisager la métamorphose de notre esprit - qui nécessite d'être maîtrisé et apprivoisé, voire dompté - dans le cadre étriqué de notre vie présente assez limitée, reste une perspective mineure. Elle prend une tout autre dimension si nous l’extrapolons dans la dimension de la Conscience Humaine qui nous habite.
Les possessions et les richesses accumulées en cette vie, la notoriété et les connaissances acquises, tout cela ne sera pas très signifiant lorsque notre vie sera sur le point de s'éteindre. Cela risque fort, bien au contraire, d'être l’objet d'une saisie mentale et de donner lieu à la frustration de devoir tout laisser, y compris notre corps physique et mental. La course avide à la possession - vouloir toujours plus et mieux - entraîne souvent le développement de l’insatisfaction et de névroses diverses, nourrit l’esprit de domination. Il est donc préférable de cultiver un esprit calme qui trouve son contentement dans la satisfaction raisonnable de ses besoins légitimes, plutôt que dans l’accumulation et l’esprit d’appropriation développant un état conservateur. Shantideva dit que c’est dans cette névrose d’accumulation que gît la souffrance liée aux possessions.
Il peut arriver, bien sûr, que tout nous réussisse et que notre opulence se développe sans trop forcer, ce qui peut nous assurer un certain confort matériel et psychologique. Mais du point de vue de notre esprit et de notre conscience, il n’en va pas de même. Cet état de satiété peut bien sûr nous procurer quelques satisfactions momentanées, mais un jour ou l’autre, quand le déclin se profile, la confrontation avec la douleur, la souffrance, arrive, et l’instabilité de ce que nous vivons nous apparaît alors flagrante dans ses changements.
Par contre, tous les êtres animés ont pour nature fondamentale le tathāgatagarbha (2), la nature de bouddha, qui est présentement voilée par les émotions obscurcissantes ou “klésha”. Si nous arrivons à nous libérer de ces voiles, nous accédons à la félicité incomparable. Si l’on est capable de laisser reposer l'esprit, et de peu à peu le dévêtir des obscurcissements qui l’habillent, on se rend compte qu'il prend naturellement congé des difficultés qui l’encombrent. Pour arriver à atteindre ce but, nous devons nous consacrer à la pratique du dharma, qui elle-même doit reposer sur des instructions conférées par un maître spirituel (plus spécifiquement dans le vajrayana). Cette pratique, qui part en quête de la reconnaissance de la nature ultime de notre esprit, présente des difficultés en raison des circonstances adverses qui viennent se mettre en travers du cheminement, mais néanmoins, l’objectif peut être réalisé. Afin d’évoluer dans ce sens, l’accent ne sera pas tant mis sur notre comportement, qui se donne à voir en apparence, mais plutôt sur la métamorphose de notre esprit dans sa façon de percevoir la nature de la Vie, et c’est à la qualité de notre praxis, ici celle du dharma, que nous devons nous en remettre.
Si l’on examine les processus de la joie, du bonheur, de la peine, des souffrances et des douleurs, on se rend compte qu’ils sont déclenchés par des évènement extérieurs, sauf que ces derniers ne sont finalement, du point de vue où nous nous plaçons ici, que des instruments provocateurs faisant surgir en notre être les émotions induisant le ressenti. Le résultat de tous ces ressentis perdure et s'alimente au sein de notre esprit, se love dans le bric à brac de notre vie avec ses tendances et habitudes, et nous influe au jour le jour, nous confortant dans une routine. Ces tendances latentes, qui sont donc le résultat d’un processus d’accumulation le plus souvent inconscient, stockage devenant puissant au fil des années, sont promptes à se révéler selon les circonstances de la vie. (et c’est là où cela devient intéressant à notre sens … [note du transcripteur] )
Posant une telle réflexion, nous allons nous rendre compte de l’implication de notre propre responsabilité dans ce qui survient au cours de notre existence, de par nos attitudes faites d’habitudes réactionnelles, bien plus que par les positionnements de quelqu’un d’inspiré par la clarté. Shantideva exprime le fait que nous forgeons souvent nous-même la trame même de notre adversité, que ce soit personnellement, pris dans un groupe, ou un ensemble de nos semblables.
C'est pourquoi, lorsque nous avons affaire à des circonstances où une/des personnes nous nuisent, il est approprié de maintenir un regard lucide sur ce qui se passe, plutôt que de nous laisser emporter par des réactions aveugles, des émotions souvent peu pertinentes, dans d’inextricables situations. Face aux diverses situations, les flux latents de notre mental encombré sont la cause de réactions intempestives et sans distance, et de cela nous sommes bien responsables. La seule façon d’aborder cette situation autrement que dans une dynamique de projections permanentes, c'est d'établir une réelle praxis sur nous-même, dans un travail quotidien effectif, afin de renverser la tendance ; c’est d'être dans une bienveillante mais ferme vigilance devant nos attitudes et comportements. Aucun expédient ne peut nous dispenser de ce labeur sur soi … une praxis bien conduite est essentielle ! Il est évident que sans une profonde conscience de cette réalité, aucun résultat durable ne se produira jamais. Le dharma nous propose ici une méthodologie pour atteindre la racine des processus émotionnels viciés.
Pour les êtres sensibles, la manière la plus courante de prendre naissance est un processus d'association d'un corps et d'un esprit. Il est régi par certaines conditions :
a) la conscience s'incarne par le biais de la conception
b) les causes qui provoquent et orientent cette incarnation sont à rechercher dans le stockage de tendances latentes, résultat d’un processus d’accumulation spontané
c) la conscience ne naît pas du fait de la combinaisons d'éléments extérieurs, sa source ne se trouve pas au niveau du support matériel de la conception, son origine est antérieure au processus d'incarnation présent
Pour essayer d’appréhender le fonctionnement du continuum de conscience, on peut observer les prédispositions qu'ont les enfants dans leur jeune âge et prendre connaissance des énoncés de maîtres yogis du passé qui avaient compris cet aspect de continuité de l'esprit. Si on se place dans la perspective d'une succession de vies passées, de la réalité d'une vie présente, on peut envisager la notion de causalité accumulée se développant en résultats (karma-Vipāka) et celle de l’influence diffusée dans l’état actualisé. Cette influence peut se manifester sous bien des aspects, physiques par exemple. Pour ce qui concerne notre “esprit”, son expression est indépendante de la fécondation parentale et se structure dans le stock latent. Les conditions de sa manifestation présente découlent du passif en suspension. C’est en se basant sur l'ici et maintenant, et dans la perspective du devenir, que s’ouvre la possibilité d’une action salutaire.
Donc, en essence et dans l'optique du but, le point le plus difficile de la praxis et ici du dharma, c'est bien de maîtriser les processus de notre esprit en vue de la transformation de ce dernier vers un horizon altruiste, généreux , spacieux et clair (3). Ce qui définit un pratiquant du dharma, engagé dans une praxis effective, c’est bien sa capacité à opérer dans son esprit les métamorphoses nécessaires pour accéder à sa profondeur humaine. Faute de quoi, en-dehors d'une modification de nos habitudes gravitationnelles identitaires, et si nous ne rentrons pas dans la compréhension de ce qui nous habite, voire nous hante, toute pratique n’est qu’une façade. Le fait que l’enseignement de Siddhārtha Gautama perdure ne vient pas simplement de l'héritage culturel, mais aussi beaucoup de sa réelle capacité à donner des clés (ou “cartes”) pour sortir notre esprit de son embourbement émotionnel inné. Shakyamuni (ou Gautama) a dit qu’éliminer toute négativité, parfaire un état d'être vertueux en transformant notre perception spirituelle, représente l’essence de l’enseignement du “Bouddha”.
Nous pouvons pressentir là différents niveaux et aspects de cet enseignement. En simplifiant, trois voies se distinguent, soit :
— la “libération” personnelle
— la “libération” des bodhisattva
— la “libération” des mantrayana du vajrayana
Ces trois niveaux des enseignements de Shakyamuni ont tous pour but d'éteindre, à l'aide de moyens différents, les trois poisons de l’esprit que sont : l’attachement narcissique, la haine, et l’opacité mentale. Nous allons donner un aperçu de la manière de procéder pour se diriger vers cet objectif. En premier lieu, considérons la voie de “la libération personnelle”. Son essence est d’éviter autant que faire se peut de nuire, et surtout l’idée de nuire avec la volonté de ... ; dans la mesure où l’on arrive à tenir à distance les trois poisons du mental, il en résulte intérieurement une dimension de bienveillance naturelle portée par une disposition à agir pour le bien d’autrui. C’est ainsi que nous arrivons à ce qui donne naissance au second niveau : l’approche du “bodhisattva” qui consacre sa vie au don généreux altruiste.
Selon nos orientations d’esprit, nous faisons l'expérience des trois états, agréable/neutre/désagréable. C’est bien de notre esprit qu’il s’agit et c'est bien lui qui en fait l’expérience, ce qui montre l’importance des efforts que nous devons faire pour transformer son orientation en nous. Il faut cependant bien se rendre compte que nous sommes là devant une difficulté réelle, le jeu des habitudes de notre esprit est retors. Lorsque commencent à poindre quelques résultats encourageant dans le processus de cette métamorphose, une perception plus limpide des choses s'établit peu à peu, “la vision pure”. Bien que n’ayant pas d’emblée la capacité de percevoir le mandala de la nature pure de l’esprit (lié au yidam du maître vajra), ni tous les sons comme la résonance du mantra, ou toutes les pensées comme les jeux de la connaissance, si nous tournons notre esprit vers la pureté des phénomènes en cultivant la certitude que c’est l’état naturel des choses, nous nous approchons alors de “la vision pure” des mantras secrets en laquelle tous les “samaya” du mantrayana sont réunis. Le résultat de cette transformation graduelle de l’esprit est l’obtention d’une clarté d’esprit s’accompagnant de bienveillance.
Les “samaya” de la voie des mantra du vajrayana sont bien plus difficiles à préserver que les préceptes liés aux autres véhicules car ils reposent sur nos pensées. La discipline extérieure peut en effet tenir dans un cadre pragmatique, tandis que le lien du “samaya” se situe dans le mental et sa coloration où les pensées surgissent, se succédant en un courant changeant modulé par des orientations positives/neutres/négatives. Le foisonnement est tel qu’il est délicat de savoir ce qu’il en est exactement de l'état d'intégrité ou d'altération du samaya. Il ne faut pas non plus oublier les nombreux liens sacramentels unissant les personnes ayant reçu une initiation d’un maître accompli au sein d’un même mandala. Ils sont aussi susceptibles d’être endommagés par diverses dispositions d’esprit incorrectes.
Le tathāgatagarbha, ou présence en essence de la nature de la bouddhéité en tout être, comme l’huile qu'il est possible d'extraire d'une graine de sésame, est mise au jour par le maître accompli à travers l’abhisheka (initiation au mantrayana). Mû par sa compassion, il nous permet, par la mise en oeuvre de cette dynamique, d’aller vers cette essence en nous-même. Il est clair que si le lien de confiance avec le maître n’est pas satisfaisant et/ou que notre souhait effectif d’avancer dans notre praxis n’est pas à la hauteur de l’enjeu, l’abhisheka ne portera pas de fruits réels… Nous devons donc, au niveau personnel, rassembler toutes les conditions nécessaires si l’on veut aller de l’avant. Quant au maître, il doit avoir accompli tout ce qui est nécessaire à la transmission de l’initiation, car au cours de cette dernière, il est considéré comme la réalité incarnée de l’activité du yidam du mandala, il incarne donc la bouddhéité en tout son être. Par conséquent, quand nous recevons une abhisheka il importe que nous nous rendions compte qu’au travers de cette initiation, le maître spirituel nous introduit à la nature du corps d’éveil, c’est à dire à la nature du mandala, nous introduit à la nature de la parole et du mantra, nous introduit à la nature de l’esprit du yidam qui est connaissance illuminée : il nous introduit au corps, à la parole et à l'esprit de l’illumination. Si nous n'avons pas vraiment conscience de ce qui se passe, il est évident que l’authenticité de la transmission ne peut être pleinement reçue. Pour ce qui concerne les quatre initiations du vajrayana, même si nous ne comprenons pas tous les éléments du mandala dans le détail, une confiance dénuée de doutes bien établie envers le maître spirituel sera le gage d'une activité effective de l’éveil du Yidam incarné par lui en nous.
Ayant reçu l’abhisheka des quatre initiations, nous avons formé le fameux “samaya” qui peut potentiellement nous permettre de « marcher vers l’éveil », mais peut tout aussi bien nous précipiter dans la sombre déchéance. Il est donc de toute importance d’être attentif quant à la qualité de l'attention que nous portons à ce lien précieux. Les “samaya” sont délicats à maintenir car ils ont affaire avec le réactionnel gravitationnel identitaire du mental. La “fraternité vajra” issue du partage d'un même mandala avec un maître spirituel suppose des participants une attitude correcte des uns envers les autres en vue de l’objectif commun. Si à l’intérieur de cette “fraternité vajra”, une/des personnes nourrissent des vues erronées à l'égard d'un autre pratiquant, ou pire encore, toutes sortes d’animosités, une brèche s'ouvre, affaiblissant la dynamique et la portée du potentiel de la « marche vers l’éveil » des uns et des autres. N'oublions cependant pas que nous jouissons d'une certaine liberté de pensée et de décision qui nous donne la possibilité d'agir en faveur de la sauvegarde et de la préservation du “samaya” du mandala.
D’une manière générale, il est essentiel d’éviter de porter quelque jugement péremptoire que ce soit quant à la capacité d'autrui d’aller vers le parachèvement de sa praxis. Les aléas de l'existence humaine étant ce qu’ils sont, il sera toujours assez difficile de préserver l'harmonie de ces liens en permanence, et de ne pas trébucher dans les brèches d’un “samaya”. Il est donc important d'être conscient de nos attitudes incorrectes, parfois plus ou moins involontaires, et d'y apporter une réponse qui soit à la hauteur du souhait de réparation/“résilience”. Il est important d’avoir à l’esprit que plus on tarde à entrer dans ce processus “résilient”, plus se développe l’influx négatif.
Quand nous recevons l’autorisation de pratiquer la “sadhana” d’un Yidam (visualisation/mantra/vacuité lumineuse), il peut être par la suite compliqué de maintenir “vivantes en nous” au quotidien l’activité des différentes abhisheka reçues. Il est alors recommandé de s’appuyer sur Dorjë Sempa, considéré dans le vajrayana comme le point d’union de l’ensemble du mandala, afin de se protéger de l’amplification nocive de liens endommagés[4]. Il est en fait important de comprendre que d'un certain point de vue, les Yidam manifestent une unité, celle du mandala parachevé de la conscience d’éveil du maître spirituel. Il est propice d’accueillir l’ensemble des êtres dans la bienveillance, car d’une façon ou d’une autre, nous leur sommes liés par la dynamique de l’évolution du vivant, et de leur dédier le bienfait de la praxis.
Nous abordons maintenant le point complexe « d’être libre de tout concept, de toute élaboration ». C’est un aspect profond et difficile à comprendre. Néanmoins, si nous nous asseyons dans la vision claire que la personne accomplissant la “sadhana” d’un Yidam, que la pratique elle-même, et que l’objet de la pratique (le bien des êtres) sont semblables à un songe, nous sommes proches de ce qui est exprimé par : « être libre de tout concept ».
Nous devons également avoir à l'esprit que notre praxis naissante étant encore fragile et vulnérable, tout état haineux envers soi-même ou autrui - qu'il s'agisse d'une personne, d'un groupe ou d'une ethnie - ruine complètement tout bienfait. Lorsque nous dédions les bienfaits aux êtres, il est important que de le faire dans une perspective globale, sans particularisme, en tout générosité.
Si, dans les actions et pratiques spirituelles que nous entreprenons, nous mettons en place ces trois dimensions essentielles que sont la préparation/la pratique principale/la conclusion, nous affermirons notre chemin vers l’atteinte de la “libération”. Tout comme un arbre qui fleurit et grandit chaque printemps porte de plus en plus de fruits au fil des années, ces étapes ont une grande valeur et renforcent notre pratique. Il existe une différence entre “un acte vertueux” porté par la « bodhicitta » et "un acte vertueux" qui n'en est pas imprégné. Le premier dynamise la marche vers l’éveil, le second accroît le “mérite”. La nuance est importante : tout comme un carré de chocolat disparaît quand on le mange, le mérite s'épuise dès lors qu'il porte son fruit. La « bodhicitta », au contraire, porte en son sein sa propre faculté de régénérescence jusqu’à accomplissement de l’objectif.
Les enseignements du bouddhisme comportent plusieurs niveaux, plusieurs véhicules. L’ensemble des enseignements de Shakyamuni le bouddha peut cependant être concentré en deux vérités : la vérité relative et la vérité absolue. Tous les enseignements de cette tradition peuvent s’inscrire dans le cadre de ces deux vérités. L’objectif ultime de cette voie est l’atteinte de la boudhéité qui s'épanouit sur deux plans : celui du corps absolu (ou dharma-kaya), qui est la réalisation ultime de notre propre bien, et celui du rūpa-kāya qui se manifeste pour le bien d’autrui. Quelle que soit la voie, l'objectif est le même, mais certaines d'entre elles mènent plus promptement que d'autres à l'accomplissement. Elles sont toutes fondées sur l'union de la connaissance et des moyens dits “habiles”, comme par exemple le mahāyāna avec les six pāramitās(4 bis) ou le mantrayana, qui utilise les deux étapes dites du développement et de la perfection.
Nous avons toutes et tous en nous la base nécessaire pour œuvrer vers le parachèvement de notre nature humaine : le tathāgatagarbha, la nature de la boudhéité. Il est toutefois nécessaire que des conditions convenables se mettent en place pour que la maturation se produise, au même titre qu’une semence a besoin d'un certain environnement pour donner forme à son développement. En conséquence de quoi, nous devons faire en sorte que notre vie soit en adéquation positive avec la voie pour permettre l’éclosion de ce processus de “nature de bouddha” en nous-même. Tout n'est ensuite qu'une question de mise en œuvre des moyens dont nous avons connaissance pour évoluer vers cet objectif. Les neuf yāna (véhicule/cheminement) représentent tous d’excellentes voies, chacun d'entre eux correspond simplement à des personnes avec des caractéristiques différentes. Lorsque le maître vajra nous introduit à la nature de notre esprit ou à la nature ultime de l’initiation qu’il nous confère, c’est toujours en visant cet état en nous, le tathāgatagarbha. Ce qui est important, ce n’est pas le niveau apparent du dharma que nous pratiquons, mais l'attitude que nous manifestons en retour dans notre vie quotidienne. C’est notre orientation d’être qui détermine le résultat, c’est donc la dimension de notre « bodhicitta » qui donne le tempo de notre praxis. Il n’y a pas de voies qui soient de piètre consistance, juste des degrés d’efficience.
Les deux véhicules n'offrent pas la même approche de la connaissance. On peut dire que la pratique du véhicule des soutras est plus aisée que celle du véhicule des mantras, qui est beaucoup plus profonde. Mais paradoxalement, si la vue exposée dans le véhicule des mantras est relativement simple à comprendre, dans la voie des soutras, il y a de nombreuses écoles aux points de vue complexes et variés. Les “polémiques” ou “disputations” y tournent principalement autour de ce sujet : « la vérité relative, la vérité absolue ».
Parmi ces différentes vues, au sein du madhyamaka (“Chemin du Milieu”), on considère que le madhyamaka prāsangika est la plus aboutie. Il y est exposé qu'au niveau relatif, il y a deux façons d’envisager la forme : en premier lieu via son aspect extérieur interprétable de manière brute, tel qu’il peut être perçu, et en second lieu par le biais de la structure subtile qui compose cette forme, les particules subatomiques du microcosme. Si l'on se penche sur les phénomènes à travers le prisme des deux vérités, on utilise alors deux logiques d’investigations : celle des caractéristiques et celle de l’absolu.
La réalité relative est dotée de deux caractéristiques : l'une est dite “pure” et l'autre “impure” ; la première renvoie à l’état naturel des choses, la seconde à ce qui est de l’ordre de l’illusoire. C'est une réalité engoncée dans une forme de vue bornée, qui n’appréhende pas d’autres modes de perceptions. Elle peut néanmoins être transcendée dans la phase de développement “kyérim” du mandala d’un yidam (5), la conscience partant alors déjà dans un au-delà de notre perception commune. Que l'on se place du point de vue de la vérité relative ou de celui de la vérité absolue, l’objectif reste l’accès à la nature de la boudhéité. Évoquer l’union de ces deux réalités, c'est faire allusion à l’union indissociable de l’évanescence des choses et de leurs apparences telles que perçues. Cette union est la base, l'essence du madhyamaka. Dans le même ordre d'esprit, l'union des deux accumulations, accumulation de mérites et accumulation de connaissance, est la voie du madhyamaka; tandis que l'union des deux corps, corps formel et corps absolu en est le fruit.
On pourrait se dire que si tous les êtres ont déjà au fond d'eux-mêmes la nature de la boudhéité avec ses qualités et perfections, il n'est pas besoin d’une voie, ni d’accumuler mérites et connaissance dans la mesure ou tout est déjà là, présent. Une combinaison de conditions favorables est pourtant nécessaire pour que se métamorphose ce qui est en potentialité, pour que, le barattage mis en branle, ce qui est latent puisse aboutir à un état de maturité. La nature de bouddha gît dans l’émotionnel obscurci par la croyance en une identité gravitationnelle. C'est cette pureté fondamentale qui est à extraire et à mettre en évidence. En-dehors de cette perspective, tout procédé, quel qu’il soit, est voué à l’échec. Dans la voie des soutras, on accumule mérites et connaissance pour activer la réalisation du corps absolu et du corps de la forme. Dans la voie des mantrayanas, on s'appuie sur la vue d’égalité dans la pureté de tous les phénomènes pour pratiquer les étapes de développement et de perfection. Il y a différentes manières d’approcher ce but.
La base de la « Grande perfection » ou Ati-yoga, qui est un yoga non-ordinaire, est l'union de la vacuité, ici nommée "pureté essentielle", et des apparences, "d'où éclot un accomplissement en toute spontanéité" en se libérant d'elles-mêmes dès leur apparition. Sur cette base s'appuient les pratiques du trek-tcheu, "qui coupe court au travers de l’illusion", et du theugal, "qui expérimente directement des “visions” affranchies du fonctionnement pragmatique de notre mental et du souffle (pràna) de vie classique". L’objectif est ici aussi l’actualisation de la nature de bouddha en soi.
Nous allons maintenant essayer de comprendre les différentes étapes qui mènent à la réalisation du tathāgatagarbha par le biais des cinq voies, et en particulier des trois premières : accumulation/union/vision. Ces trois étapes nous mènent d'une simple compréhension théorique, à un début d’expérience directe de la nature de bouddha, puis à son parachèvement. La compréhension théorique et/ou intellectuelle de la vacuité/nature de bouddha s'apparente à la contemplation d'une photo représentant un paysage naturel. L’union, où l’on commence à faire l’expérience de la vacuité/nature de bouddha, revient à être présent au bord d’un lac calme où se reflètent des éléments, comme par exemple la lune. Lorsque la première “terre de bodhisattva” se profile, l’on contemple alors directement ce qui précédemment n'était qu’en reflet, avec l’exacte perception de la nature de la boudhéité. Lors de l’atteinte de la première “terre de bodhisattva” se produit simultanément la réalisation de la bodhicitta(6) absolue. C'est le signe d’une réalisation spirituelle de plus en plus vaste.
La “pureté originelle” de la “nature de la bouddhéité” se présente sous deux aspects : l'un est la pureté primordiale (ou originelle), l'autre la pureté qui vient d’être libérée des obscurcissements passagers, éphémères. Quelles que soient les circonstances, la pureté originelle est comme la lumière, même quand elle est masquée, elle est clarté. Quand on atteint la première “terre de bodhisattva”, la réalisation de la vacuité est simplement la reconnaissance de cet état de fait. Ensuite, entre cette première terre et l’atteinte de la “nature de la bouddhéité” parfaite de la dixième terre du boddhisattva, une dynamique d’épuration des scories qui dissimulent l'essence originelle se met en mouvement. Les voiles des émotions gravitant autour d’une identité monolithique qui perturbent la quiddité de l’être s’atténuent progressivement et laissent place à la limpidité. Les deux aspects de la pureté une fois unifiés, la bouddhéité rayonne. On distingue deux sortes de voiles : celui des émotions perturbées et celui qui recouvre tout ce qui est à connaître. Le premier disparaît dès l'atteinte de la première “terre de bodhisattva”. Ne reste dès lors que le voile subtil qui nous accompagne dès l'amorce de notre manifestation dans cette existence. Très délicat à dissiper, il représente un empêchement à la compréhension ultime de la bouddhéité. Le premier de ces voiles résulte de l'activité de l’esprit discriminant qui nomme les choses, conceptualise. Le second, dont la présence est innée au sein du manifesté, est le plus difficile à faire disparaître. Quand on atteint la première “terre de bodhisattva”, notre perception de la vacuité est encore limitée, le champ de perception reste réduit, comme lorsqu'on aperçoit quelqu'un, au loin à l’horizon. On devine que c’est une personne mais on ne la distingue pas précisément. La perception devient par la suite de plus en plus nette, jusqu'à faire montre d'une véritable acuité. L'omniscience inhérente à l'état de bouddha est définie par deux connaissances : la connaissance qui perçoit les choses telles qu'elles sont et la connaissance de la multiplicité des phénomènes.
La "nature de bouddha" présente deux aspects : celui de la vacuité et celui de la manifestation. Lors de son second cycle d'enseignement, Siddhārtha Gautama mit l'accent sur la vacuité. Afin de ne pas laisser ses auditeurs se perdre dans l’extrémisme de la vacuité, il exposa lors du troisième cycle l’aspect de luminosité au sein de la vacuité. Dans le second cycle d'enseignement, il envisage les différentes facettes de la vacuité appliquée aux phénomènes (vacuité intérieure, vacuité extérieure, la grande vacuité, la vacuité incréé, etc...). Du point de vue du monde phénoménal, on peut définir toutes sortes de vacuités, et concomitamment, on se rend compte qu'il n’y a rien au-delà de la vacuité. Si en revanche on en vient à examiner sa nature absolue, on ne trouve plus qu’une unique vacuité. Arrivé au point ultime du dharmadhatu, l'espace absolu, qui est au-delà de toutes les limitations conceptuelles, de toutes les élaborations et de toutes les conditions, il n'y a plus qu'une nature unique qui échappe à toute définition.
Le troisième cycle d'enseignement de Siddhārtha Gautama traite de l’apparence lumineuse de l’esprit :
« l’esprit n’existe pas, sa nature est luminosité », est-il dit dans la prajñāpāramitā. “L’esprit n’existe pas” signifie que “l’esprit” en tant que fonctionnement relatif qui assure notre viabilité, n’existe pas en soi, n’est pas une entité indépendante. “Sa nature est luminosité” renvoie à la dynamique de la manifestation qui vient s’unir à la vacuité. De la qualité lumineuse de la bouddhéité éclosent les différents corps/plans, ou “kaya”, et les cinq connaissances, elle est la nature manifestée de bouddha. Dans ce cycle d'enseignement, il est également dit que toutes les qualités de la bouddhéité, les connaissances et les corps/kayas, sont intrinsèquement déjà présents en chaque être. Cela entre en écho avec certaines vues ultérieures du mantrayana, comme la présence de "bouddhas" en différents points de notre corps, ou la nature illuminée de tous nos agrégats.
Les enseignements de la deuxième mise en mouvement de la « Roue du Dharma », traitent de la nature absolue des phénomènes, qui est vacuité, et contrecarrent la notion d’éternité. La troisième mise en mouvement de la « Roue du Dharma » met en exergue la nature lumineuse de la bouddhéité et contrecarre la notion de néant. Cet aspect manifeste de la connaissance se rapporte à la logique pure ou absolue par opposition à la logique de l'illusion. Les phénomènes se rapportant à la vérité relative sont examinés à l'aide de la logique relative.
Concernant la vérité absolue, il existe deux niveaux de compréhension :
— Une vérité absolue ayant différents aspects
— Une vérité absolue qui est au-delà du concept et de toute élaboration, par-delà l’intellect et le mental, et ne présente aucune multiplicité d'aspects
Selon la vue ultime du Madhyamaka prasaṅgika de Dharmakīrti (philosophe et logicien indien du milieu du VIIe siècle), l’on ne sépare pas la manifestation de la vacuité, mais on en comprend l’inséparabilité. Depuis le monde de la forme et des perceptions ordinaires que nous expérimentons communément, jusqu’à l’accomplissement de la bouddhéité il n’y a aucun phénomène qui ait une existence propre, intrinsèque. Tout ce que nous expérimentons est à la fois de l’ordre de l’apparent et du “vide”. La vacuité n’est pas vide en relation avec quelque chose qui serait apparent et à plusieurs facettes, elle est essentielle, elle est une.
« Les choses sont vides en elles-même et apparaissent, elles apparaissent et pourtant sont “vides” en elles-même ». Cette formule exprime une notion essentielle pour cette voie qui est que : la vacuité n’est pas autre chose que les phénomènes eux-même, et les phénomènes ne sont pas autre chose que la vacuité. Il n’y a pas de séparation entre, d'un côté une “vacuité” semblable au néant, et de l'autre des “phénomènes” qui auraient une existence permanente. “Vacuité” et “phénomènes” sont une seule et même chose. Cette approche permet d’éviter les élaborations intellectuelles extrêmes et les pirouettes mentales qui seraient tentées d'affirmer que : soit une chose existe, soit elle n’existe pas ; qu’une chose peut être existante sans l’être ; ou bien encore qu'une chose peut être à la fois ni existante ni non existante. Grâce cette union de l’indivisibilité des “phénomènes” et de la “vacuité”, on dépasse tous les concepts et on se donne la possibilité d’atteindre la connaissance. La vérité absolue est inexprimable, ne peut être imaginée ni représentée, elle est au-delà de tout concept. La connaissance ultime ne peut être réellement approchée que par l’esprit éveillé d’un “bouddha”, par-delà les facultés de raisonnement du mental pragmatique. Au sein de la vérité absolue, il n'y a pas de “dieu”, pas de “démon”, pas plus de “bouddha” que d’être humain. Les phénomènes qui se déploient au sein de la vérité relative suivent néanmoins la loi inéluctable de cause à effet au travers de la chaîne des liens successifs, des liens d’interdépendance et de causalité.(7)
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(1) « bodhicitta », bodhi signifie “Éveil spirituel” et consiste à voir la réalité face-à-face. Citta signifie "conscience en le cœur".
(2) Le tathāgatagarbha, « matrice » ou « embryon » de bouddha ; de tathāgata : « ainsi venu »; encore appelé « nature de bouddha » ou « graine d'éveil », est le germe renfermant la nature essentielle, universelle et immortelle présente en tout être sensible*, cause et potentiel d’illumination (nirvāṇa). Cette notion, inconnue du bouddhisme originel dit theravāda, fournit une base théorique à l’élargissement de la pratique aux laïcs (… ?) - une des caractéristiques du mahāyāna** - ainsi qu’à certaines pratiques de méditation visant l’illumination subite, comme le zen ou le dzogchen.
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* Il a pu également constituer un argument en faveur du végétarisme.
Ceci dit, cette dernière perception nous semble très limitée dans sa restriction, nos connaissances actuelles allant bien plus loin ! Elles soulèvent l’équivoque à ce sujet, d’une réelle implication valide.
https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/botanique-surprise-plantes-ont-langage-base-ultrasons-78716/
Les éponges (ou spongiaires/Porifera) sont des animaux formant l'embranchement basal de transition d’avec le règne végétal. Les anémones de mer, groupe d'animaux marins vivant fixés à un support, comme les éponges, et appartenant à l'ordre des “cnidaires” dans la suite de l’évolution, ont été les premières à se déplacer, développant simultanément un système nerveux qui engendra de facto, avec le mouvement, une prédation nourricière dans son milieu naturel.
** Le Mahayana Mahaparinirvana Sutra décrit la nature de bouddha comme l’être authentique, inconditionné, illimité, éternel, la force vitale jivaka cachée en chacun, que seuls les êtres éveillés perçoivent. Néanmoins, selon ce soutra, certains êtres, nommés icchantikas, ne parviendront pas à l’état de bouddha malgré la présence du tathāgatagarbha en eux, car leur mauvais karma est si important qu’il peut empêcher éternellement le germe de se développer. Les autres sutras sont plus “optimistes” et ne mentionnent pas cette restriction. Le Tathāgatagarbha Sūtra est le seul à représenter l'embryon sous la forme concrète d'un homoncule.
D’autres soutras plus tardifs présentent un syncrétisme entre la notion de tathāgatagarbha et la pensée yogācāra : Lankāvatāra Sūtra, Ghanda-vyuha, Shurangama Sūtra et Mahāvairocana sūtra. La nature de bouddha y est la sagesse (bodhi) présente au cœur même du monde (Saṃsāra) qui permet l’illumination immédiate.
Les différentes étapes de la réalisation - le “tathàgatagarbha”.
— Les cinq voies
— Les deux puretés de la nature de la “bouddhéité”.
- a) pureté primordiale, originelle
- b) pureté libérée des voiles et des obscurcissements
Les deux aspects de la nature de “bouddha” : vacuité et manifestation
La pràsangika / Gyü-lama
Il y a inséparabilité des phénomènes et de la vacuité.
La vacuité n’est pas autre chose que les phénomènes eux-même et les phénomènes ne sont pas autre chose que la vacuité.
Il n’y a donc pas séparation, ils sont indivisibles ; cela dépasse donc l’intellect ordinaire.
Au sein de cette vacuité dite “lumineuse”, il n’existe ni “bouddhas”, ni “être humains”, ni “dieux” ni “démons”.
Cependant, dans le “monde de l’illusion” qui est notre quotidien “ordinaire”, les causes et les effets régissent la manifestation au travers de chaînes de causalités et d'effets.
Il y a donc, au sein de la vacuité relative, une notion de choses à éviter dans notre manière d’être. Dans la vacuité de l’absolu tout est pur et spontané, libre de “toute saisie mentale”.
(3) voir Atiśa, disciple de Serlingpa, dans « La roue tranchante du véhicule universel »
http://hridayartha.blogspot.com/2015/12/la-roue-des-armes-tranchantes-traduction.html
[ note du transcripteur]
« Je vous joins un enregistrement de 1990 en mp3 qui me pose un questionnement à – 01:20 (traduc. Mathieu Ricard de Khempo Thubten) sur le terme de : “... seul coupable ...” qui induit une notion de jugement et de sanction dans le contexte donné.(Khempo Thubten 037 – 01:20)
—Hridaya artha/Joy Vriens : « Quoi qu'il en soit, je pense que votre intuition est juste. Je crois avoir entendu las bsags pa (karma accumulé). Je n'aurais alors pas traduit par skyon (faute, défaut), ou de culpabilité, mais par responsabilité. Il n'y a pas de jugement et de sanction, sauf si on prend au premier degré les allégories du roi Yama etc. »
[4] Nous confirmons ce point très important dans le vajrayana, que nous avons personnellement entendu énoncé par Khyabjè Dilgo Khyentsé à plusieurs reprises dans ces années-là, à la Sonnerie en Dordogne. (note du transcripteur).
(4 bis) la générosité, l'éthique, la patience, la persévérance, l'absorption méditative et la sagesse. S'appuyant sur le dynamisme des relations entre les êtres, elles sont l'instrument de l'intégration de l'enseignement dans la vie quotidienne en action.
Considérées dans leur succession, l'une est la base permettant à la suivante de se développer. Formant en fait un tout indissociable, elles sont complètement interdépendantes, chacune d'entre elles étant purifiée par les cinq autres. Elles vont ainsi toutes se développer simultanément sur le chemin de l’Éveil.
(5) kyérim/dzogrim :
« Tout ce qu’on vit, toute la manifestation, est le jeu, la projection de l’esprit. Et l’esprit, quand à lui, depuis le temps sans commencement est indifférencié du dharmakaya, la vérité ultime. Cette dimension ultime pénètre tout l’espace, tous les êtres, tout l’univers : elle est l’espace omniprésent, omnipénétrant qui anime tous les êtres. Le dharmakaya qui m’anime est identique au dharmakaya qui anime tous les êtres, c’est le même, l’unique dharmakaya.
Comme êtres/personnes qui errent dans le cycle des existences nous ne sommes pas en contact avec cette dimension ultime que l’on appelle le dharmakaya. Pour le “voir”, le réaliser, il faut purifier les voiles qui recouvrent notre nature éveillée, notre nature de Bouddha, par les deux phases de méditation : la phase de développement (kyérim) puis la phase d’achèvement (dzogrim). Ces deux aspects de la méditation se trouvent dans toute pratique du Vajrayana. »
Purifier l’esprit par la méditation
Lama Guendune Rinpotché
(6) Le bodhicitta ou esprit d'Éveil (bodhi : éveil ; citta : cœur-esprit) est l'aspiration et l'engagement à atteindre l'Éveil, ou bouddhéité, afin d'y amener tous les êtres sensibles, et ainsi les libérer de la souffrance inhérente (duhkha) à l'existence cyclique (Saṃsāra). Celui qui engendre cette motivation et qui en fait les vœux formels (praṇidhāna) est appelé bodhisattva, littéralement : être d'Éveil, souvent traduit par héros pour l'Éveil. Le bodhicitta et le bodhisattva, son corollaire, sont au cœur de la pensée bouddhiste, particulièrement dans le mahāyāna et le vajrayāna; à tel point qu'ils justifient l'appellation « bodhisattvayāna », véhicule du bodhisattva, souvent donné au mahāyāna.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bodhicitta
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(7) Logique : nous proposons au lecteur, pour détendre un peu sa réflexion à ce sujet, une forme de digression afin de mettre en perspective le propos et apporter une note imagée de la chose !
« Sa plus notable manifestation est le cours magistral du professeur Shadoko sur les passoires, dans le cadre du grand programme d'éducation des Shadoks. La logique des Shadoks revêt, en les caricaturant, les caractéristiques propres à la logique de réalisation des programmes informatiques et des mathématiques. Cette forme d'humour provient en partie des concepteurs de l'Animographe et d'une amorce d'anti-bourbakisme. Par exemple :
• tout type d'instrument est appelé passoire, sur lequel on peut définir trois sous-ensembles : l'intérieur, l'extérieur et les trous ;
• les trous ne sont pas importants. En effet, on ne change pas notablement les qualités de l'instrument en réduisant de moitié le nombre des trous, puis en réduisant cette moitié de moitié etc. jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de trou du tout ;
• d'où, théorème : la notion de passoire est indépendante de la notion de trou et réciproquement ;
• il y a pourtant trois sortes de passoires : celles qui ne laissent passer ni les nouilles ni l'eau, celles qui laissent passer les nouilles et l'eau, et celles qui laissent passer quelquefois l'un ou l'autre et quelquefois pas. D'où les conclusions suivantes :
◦ une passoire qui ne laisse passer ni l'eau ni les nouilles est une casserole,
◦ une casserole sans queue est un autobus,
◦ un autobus qui ne roule ni vers la droite ni vers la gauche est une casserole.
Citons à ce propos la découverte de Gégène : « L'insecte Gégène avait trouvé le moyen de filtrer les nouilles et pas l'eau. Pour cela il suffit que le diamètre des trous soit inférieur au diamètre de l'eau. »
https://www.youtube.com/watch?v=1Duiup2tWKA
et « Cours magistral d’oeufologie » du professeur Shadoko :
https://www.youtube.com/watch?v=Dk1JjjbZ4yc
voir time 1h 15mn … !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Shadoks#Premi%C3%A8re_saison
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Les « Neuf véhicules » (ou neuf « Yānas »)
Nyingmapa
Enseignement de
Dzongsar Khyentsé R.
« La Sonnerie » été 1990
La tradition dite des « Neuf véhicules » est particulière à la tradition Nyingmapa.
« Yāna » est un terme sanskrit signifiant : “véhicule”, dans le sens de “ce qui nous emmène quelque part”.
Nous pourrions tout d'abord nous demander pourquoi nous devrions “aller quelque part” (sous entendu : en terme de spiritualité), mais nous ne nous étendrons pas trop sur ce sujet présentement.
Comme les différentes manifestations de l’esprit sont sans limite, il n’y a pas vraiment de limite concernant le nombre de “véhicules”. Il est important d'associer à ce terme de "véhicule", la signification d'une méthodologie pour s’apaiser soi-même, aller vers le calme. Si nous nous acceptons tel que nous sommes, en l’état brut de nos comportements et perceptions, nous pouvons percevoir ce qui est véritablement entendu par “véhicule”.
Il y a deux manières d'aborder les “yānas/véhicules” :
l’une considère la base et le fruit et l’autre la théorie.
Nous parlerons ici de ces neuf “yānas/véhicules” en nous fondant principalement sur « Le chemin e(s)t le fruit ».
Quand on parle des différentes écoles, on se situe sur le plan de la théorie. Pour notre part, nous n'entrerons pas beaucoup dans les débats philosophiques.
L'existence des neuf “yānas/véhicules” répond à une demande de base, à une question fondamentale qui peut prendre plusieurs aspects, ces derniers revenant finalement chaque fois à la même chose : Qu'est-ce qui se cache derrière tout ça ? Qu'est-ce que la réalité ? Se nourrir, prendre du repos et dormir après une journée de labeur; les neuf “yānas/véhicules” sont là pour tenter de répondre à cet aspect de notre vie : se résume-t-elle à cela ?
Il nous faut tout d'abord parler des êtres qui empruntent le véhicule dit “mondain”. Ils se subdivisent en deux groupes : celui des personnes qui ne comprennent pas et celui des personnes qui ont une compréhension erronée, ce qui rend les choses encore plus compliquées !
Nous leur posons donc la première question : qu'est-ce qui se cache derrière tout ça ?
— De la part du premier groupe, nous obtiendrons une réponse pragmatique dans sa simplicité, concrète et tangible
— Ceux du second groupe répondrons que c’est un jeu de circonstances, certains y adjoindrons une notion de développement des choses lié au “temps”, puis d’autres encore y apporterons un concept de “dieu” entendu comme “grand pourvoyeur de bienfaits”.
Dans l’exposé de l’enseignement, toutes ces explications sont supposées être battues en brèche par les philosophes du bouddhisme qui se basent pour cela sur de nombreuses investigations variées sur la nature des choses.
(Pour ce qui concerne la notion de développement d’un “temps et de son objet”, Jamgon Kongtrul rinpoché propose une investigation liée au toucher, dans le sens d'une “rencontre avec ...”)
Dans le véhicule dit “mondain”, il existe tout de même des enseignements bénéfiques incitant les êtres de nature humaine à développer une renonciation aux méfaits de toutes sortes et la conscience d’une loi indubitable de causalité suivie d'effets. Ces êtres pratiquent une certaine forme d’auto-discipline altruiste en ne développant pas de motivation de nuire et mettent en pratique une forme d’activité d’inspiration “vertueuse”. Dans cette voie, il existe donc un exercice de recueillement tendant à modeler et modifier des habitudes nocives en une nouvelle attitude plus respectueuse envers la Vie et qui peut permettre d'atteindre à une plénitude d’être. Mais les “méditants mondains” pensent que c’est cela, « l’illumination ». Du point de vue du bouddhisme, “l’illumination” n’est cependant pas une expérience, elle n'est pas créée par des causes, elle n'est pas fabriquée (ou construite, composée …) par des efforts répétés de pratiques méditantes, auquel cas cela produirait un effet voué à disparaître in fine faute de “méditant” ! Selon le bouddhisme “l’illumination” n’est pas la cause ou le résultat de …, mais bien plutôt quelque chose de déjà existant, de dores et déjà présent dans une latence, et on “réalise” que c’est cela « l’illumination ». Il y a donc une différence importante entre les deux points de vue.
Nous allons maintenant parler du véhicule qui est au-delà du “véhicule mondain”.
D’une façon générale, un “yāna/véhicule” où l’on prend refuge en les Trois Joyaux se base sur la vue des quatre Grands Sceaux, qui eux-mêmes expriment quatre vues différentes, respectivement :
— tous les phénomènes composés sont par nature impermanents
— toutes les émotions liées à l’attachement portent en elles la souffrance
— tous les phénomènes sont sans réelle essence, et donc de la nature de la vacuité
— la paix en soi se situe au niveau d'un au-delà appelé “nirvana” ou l’extinction
En utilisant trois formes de pratique, sagesse, discipline et “samādhi” ou état d’absorption, nous pouvons dépasser le stade des réalisations spirituelles mondaines. Au-delà des véhicules mondains se trouvent les neuf “yānas/véhicules”. Au sein de ces neuf véhicules les deux premiers concernent les caractéristiques ou causes :
— Shravakayana, le véhicule des auditeurs, (Hinayana).
— Pratyekabouddhayana, le véhicule des "bouddhas-par-soi", (Hinayana).
— Le Mahayana, le véhicule des Bodhisattvas.
Nous allons donc aborder le véhicule des Shravaka ;
Sa caractéristique principale, c'est la possibilité d’accéder à la “libération” par la réalisation de l’évanescence d’une perception identitaire en gravitation. Sa pratique essentielle est basée sur la renonciation, et d'une façon générale, la prise en considération des vains aspects de l’existence.
Nous accordons beaucoup d’importance à notre situation sociale et nous pouvons même, dans ce cadre, considérer l’étude du Dharma comme une nouvelle distraction exotique, y développer un intérêt pour combler un vide, en faire une occupation palliant à une forme d’ennui, C'est pourquoi, avoir un regard très distancié d’avec les aspects superficiels de la vie sociétale est fondamental pour engager une réelle démarche spirituelle vers les Quatre Nobles vérités énoncées précédemment.
Un autre aspect de cette vue est l’absence d’une structure réaliste basée sur l’identification née du gravitationnel des émotions identitaires, où plus succinctement l’idée d’un “moi” figé dans un espace donné.
Dans une certaine mesure théorique, les phénomènes sont engendrés au niveau du domaine particulaire des atomes, eux-mêmes indivisibles. De la même manière, les phénomènes subjectifs sont à l’origine crées par l’esprit, Un, non divisible. En s’appuyant sur cette vue, par la pratique de la méditation, les shravaka réduisent leur attachement aux agrégats fonctionnels, en prenant conscience qu'ils sont susceptibles d’être détruits d’une façon ou d’une autre. Cette approche laisse cependant supposer qu'existe quelque chose qui aurait une existence propre.
Il y a huit types de discipline dans la voie de « la libération pour soi-même », ils sont les fondements de la méditation. Les “shravaka” écoutent les enseignements d’un maître, y réfléchissent, puis vont méditer sur le sens de ce qui a mûri à travers leurs réflexions.
Il est important de comprendre que les “shravaka” travaillent surtout avec la matière des phénomènes objectifs. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'ils ne se penchent pas du tout sur la vacuité de ces phénomènes. Par exemple, le mahāyāna aborde directement ce qu’est le désir alors que le pratiquant du hīnayāna va surtout “travailler” sur l'objet extérieur formalisé de son désir qui n’est autre que la projection de son propre état et non pas une réalité objective ; ce sont là deux approche différentes. Cette dernière démarche s'inscrit dans le cadre strict du travail spirituel sur soi, elle est donc à garder par devers soi, il est important de veiller à ne pas en incommoder autrui.
Ces “shravaka” pratiquent aussi les méditations dites de “samatha” et “vipassana”.
Nous allons encore un peu évoquer les différences qui existent entre le hinayana, le mahayana et le vajrayana.
Le but que nous nous fixons est de traverser “le champ de bataille” des émotions liées à la crispation d’une identité soit-disant fiable et tangible, existant par elle-même, indépendante et séparée de ce qui l’entoure, traditionnellement désignée comme le “saṃsāra”. Quand on prend conscience de cette dynamique naît une forte motivation pour nous extraire de ce “champ de bataille” difficile à vivre. Dans cette perspective, nous pouvons distinguer trois types de “vaillance” qui se proposent de franchir ce chaos généré par l’espèce humaine :
— dans le premier cas de figure, l'aventurier spirituel est tantôt dans la confrontation, tantôt dans l’esquive, mais sa tendance va surtout vers le pusillanime, le timoré et pour tout dire, il est quelque peu centré sur lui-même. On l'assimile au “shravaka” et autres “pratyekabouddha” ; (vœux de “refuge”, vœux d’upāsaka, etc …) ; disons qu’une forme d’éthique accompagnée d’une certaine discipline vers “l’être correct” est nécessaire pour asseoir une méditation valide (Nāgārjuna). L’idée est de tirer le meilleur parti possible des situations que la Vie nous donne à vivre.
— L'aventurier du deuxième cas de figure a également comme objectif de traverser “le champ de bataille” des émotions, mais avec comme ambition de les maîtriser complètement dans une approche mahāyāniste (voie de la conscience épurée).
— La visée du troisième aventurier implique aussi de traverser “le champ de bataille” des émotions, mais en en utilisant la puissance pour les réduire à merci. C’est l’attitude de vaillance des adeptes du vajrayāna.
Revenons-en à la vacuité/potentialité.
En ce qui concerne les shravaka, ce qui est principalement travaillé, c’est le concept de vacuité de la structure gravitationnelle du phénomène des émotions identifiantes solides. Leurs considérations générales s'appuie sur le fait que l’attachement, le narcissisme, ne sont au bout du compte qu’une illusion de perception que l’on développe vis-à-vis de l’existence.
Les “pratyekabouddha” constituent leur approche sur les douze liens d’interdépendance. Dès lors, ils ne conçoivent pas que l’illumination puisse être directement atteinte, mais pratiquent afin d’être capables d’illumination dans une époque où il n’y aurait ni Bouddha, ni maître avéré auprès duquel étudier. Leur parcours pourrait s’énoncer comme suit ; au commencement, des regards impressionnés sur la destinée du corps de chair (objet de douleurs/plaisirs, maladies/guérisons, la vie et sa dégradation, l’usure et la mort, l’état cadavérique). S'ensuit le développement d'une forme de relativisation des choses et une certaine distanciation dans le non-attachement qui donnent à leur tour naissance à une vision basée sur l’évanescence du manifesté pouvant potentiellement mener vers la réalisation d’un état de clarté dit “d’éveil”. Leur démarche et leur activité se concentrent principalement sur leur propre personne, cependant, même s'ils ne donnent pas d’enseignement formel proprement dit, la symbolique de leur existence a un impact sur autrui. En dehors de cet aspect, ils présentent une similitude certaine avec les “shravaka”.
— Le Mahayana des Bodhisattvas.
La grande différence entre les pratiquants du mahayana et ceux du hinayana, c'est que, grâce à la sagesse, tout en étant conscients de l’absence identitaire du monde phénoménal, les bodhisattvas du mahayana sont pleinement immergés dans la compassion bienveillante. Ils ne demeurent pas dans l’émotionnel gravitationnel naturel (samsara); imprégnés de compassion, ils ne demeurent pas non plus dans l’état “libéré” de ce champ émotionnel soumis à la gravitation identitaire. Ils sont donc dénommés bodhisattvas ou “courageux” car il sont, en toute conscience, en prise directe avec les états de soumissions à l’illusoire identitaire.
Revenons à l’aspect sec du théorique. Le Mahayana se partage en deux écoles principales : madhyamaka et cittamātra.
Les tenants du cittamātra sont aussi désignés comme « l’esprit seulement » (ou "rien que l’esprit"), car ils pensent que toute manifestation est une expression “de l’esprit”, et que cet “esprit” est la seule chose qui soit véritablement. Par induction dans cette perspective, on peut dire que tout est la création de “l’esprit”, cependant, d’un point de vue théorique, il est préférable d’exprimer “tout est l’esprit”.
[time -13:30] (1)
Les cittamātrins pensent en terme “d’esprit comme une entité”. Pas les madhyamaka. Du moins pas comme authentiquement existant. Ils conçoivent que, d'une certaine manière, l'esprit existe dans sa production vis-à-vis du monde relatif des choses, mais en terme ultime, dans l’absolu, pour eux il n’est pas “existant” ; ce pourquoi ils sont parfois désignés comme ceux « qui croient en l’existence de rien », ou nihilistes.
Les madhyamakas se partagent eux-même en deux groupes : Svātantrika et Prasaṅgika :
— Svātantrika madhyamaka : ils pensent que les choses existent effectivement pour peu qu’elles se manifestent, mais que du point de vue ultime, rien n’apparaît vraiment.
— Prasaṅgika madhyamaka : eux aussi considèrent que du point de vue ultime rien n’apparaît, et que même dans le domaine du relatif, une chose ne peut pas être désignée comme “existante” ou “non-existante”.
(courant très suivi au Tibet ancien par deux sous-groupes : l'un se basant sur la vacuité du soi, parmi eux les Guélupa et une partie importante des Sakyapa ; et l'autre s'appuyant sur une vacuité globale, tenue par les Kagyupa, hormis les Drugpa, et les Nyingmapa qui stipulent qu'ultimement, la vacuité est vide d’ignorance et non pas vide en elle-même).
La vue ultime des boddhisatva est celle de l’absence des quatre extrêmes de la vacuité :
— existence
— inexistence
— l'existence et la non-existence
— ni existence ni inexistence
« Tout est réel et n'est pas réel,
À la fois réel et non réel,
Ni réel ni pas réel.
Ceci est l'enseignement du Seigneur Bouddha. »
Mulamadhyamaka-karika de Nagarjuna , verset 55:
L’éthique des boddhisatvas se répartit en trois catégories (2).
Nous allons maintenant explorer les différents “yānas/véhicules” du Hīnayāna, Mahāyāna et Vajrayāna à travers le prisme de la tradition de la prise du “refuge” (Trois joyaux et éventuellement les Trois Racines [vajrayāna]).
Ce qui nous pousse à prendre le “refuge”, c'est la conscience d’une certaine inconnaissance du processus de la naissance, de l’existence, et de sa cessation, engendrant une forme d’appréhension, une préoccupation souvent accompagnée de quelques inquiétudes. La motivation peut se cantonner au champ réduit de soi-même ou s'élargir à l’ensemble de l’espèce humaine, voir au-delà. Le mode d'appréhension des “objets du refuge” diffère selon les vues du Hīnayāna, Mahāyāna, et Vajrayāna.
Mahāyāna et Vajrayāna ont historiquement rencontré de grandes difficultés. Les tenants du Hīnayāna affirment que Siddhārtha Gautama (Bouddha historique) n’a pas enseigné le Mahāyāna (voir Nāgārjuna IIe et IIIe siècle). Il n'aurait donc pas non plus enseigné le Vajrayāna ! D’un certain point de vue, cela recouvre une certaine réalité. Alors d’où vient le Dharma ? Aborder le plan historique est important avant de poursuivre plus avant.
L'authenticité d'un enseignement se fonde sur cinq exigences : le maître initiateur, l’enseignement, la période historique, le lieu historique, et les auditeurs/disciples ; toute tradition spirituelle digne de ce nom doit s’articuler sur ces bases effectives, faute de quoi elle manquerait de crédibilité.
Il est effectif que dans le bouddhisme classique (dans le canon pāli notamment), il n’est fait aucune mention du Vajrayāna.
Les tenants du vajrayana considèrent que Siddhārtha Gautama était une manifestation de Bouddha, mais que l’état de bouddha relève d’une autre dimension que celle du manifesté : le Dharmakâya, « Nature de Bouddha », le Sambhogakâya (3). Le Bouddha historique s’est manifesté par l'agencement de conditions contingentes, hors ce qui est entendu ici, c’est un état hors contingences temporelles. Quid le Bouddha ?
Dans le vajrayana, la nature de l'esprit, claire, rayonnante et unie à la vacuité, ou “śūnyatā”, domaine du Sambhogakâya, est nommée Vajradhara/Samantabhadra ou Dorje Chang (tib.), l'Adi-Bouddha [le Bouddha Primordial à l’origine de tous les bouddhas, qui est sans début et sans fin, figure la plus conceptuelle du bouddhisme vajrayāna].
Reconsidérons les cinq exigences assurant les fondements d'un enseignement authentique pour ce qui concerne le vajrayana :
— L'Adi-Bouddha est l’objet ultime du “refuge”, il correspond au “maître source”. Dans ce cadre, le corps manifesté préhensible du maître vajra n’est pas sa réalité du point de vue de sa réalisation spirituelle.
— L’enseignement est affranchi d’une période historique, il vit, toujours disponible, dans un “actuel” libre de notions tels que la trilogie pragmatique du passé/présent/devenir.
— Dans le même ordre d’idée, il n’y a pas de limite de lieu dans la mesure où l’activité est présente pour peu qu’un réceptacle de conscience humaine le soit aussi.
— Dans sa relation, Dorje Chang est en communication (en fait cela va bien au-delà de ce terme limité) avec ses cinq aspect ou reflets différents : les cinq bouddhas de sagesse, qu'on appelle aussi les cinq dhyani bouddhas ou bouddhas de méditation des cinq familles traditionnelles d’émotions.
— Le vajrayāna est la voie du “fruit”, par comparaison avec celle de la “cause” du sùtrayāna (ou mahāyāna [base – voie – fruit]), qui essaye d'apréhender l’état de “bouddha” comme étant le résultat de quelque chose, alors que le vajrayāna part du principe que l’esprit EST bouddha en essence (base – voie – fruit). Pour le dire autrement, d'après l’un, la base, après le parcours de la voie, devient “clarté” et on peut dire qu'en quelque sorte elle a changé, alors que pour l’autre, la “clarté” est d'ores et déjà présente dans la base qui parcoure la voie, et qui au bout du compte reste ce qu’elle est, sans véritable changement. La perspective du vajrayāna stipule donc que base – voie – fruit sont une même chose.
Il est à noter que le mahāyāna n’utilise pas le domaine de la vérité relative comme voie de cheminement. En pratique tantrique, c'est dans la motivation profonde qui préside à l’action qu’il faut l’interpréter, sans se limiter à l’apparence de ce qui se déroule. C'est ainsi que le vajrayāna utilise tout ce qui constitue la substance de l’existence. Dans le tantra de “Dukyi Korlo”, contenant le descriptif de l’activité de nombreux “daka et dakini” est, par exemple, détaillée l’utilisation des éléments intérieurs qui, combinés avec les éléments extérieurs, produisent une attitude.
Dans le vajrayāna, il existe deux classes de tantras (textes fondateurs du bouddhisme vajrayāna qui correspondent à différentes dispositions) :
— tantras extérieurs : Kriya Tantra, Upa Tantra (ou Charya Tantra) et Yoga tantra.
Le Kriya Tantra insiste sur les actes extérieurs. L'introduction à sa pratique (l’abhisheka/initiation) se fait à l'aide du support de l’eau, de la famille du dhyani bouddhas Aksobhya l’impassible, l’inébranlable (ou Mikyöpa, tib.), et avec celui de la couronne, de la famille du dhyani bouddhas Ratnasambhava le généreux. L'ensemble du processus s'inscrit dans un climat de limpidité/propreté. La vue des pratiquants du kriya est celle des deux vérités. Leur vue ultime est celle de l’inséparabilité du Dharmakâya et du Sambhogakâya de leur propre esprit. Tous les phénomènes extérieurs se présentent sous l’aspect de trois sortes de déités, principalement : Mañjuśrī (ou Jampelyang - tib.), Vajrapāņi (ou t'Chana Dorje - tib.) et Avalokiteśvara (ou t'Chenrezig – tib.). Ils suivent leur propres règles d’éthique comme s’abstenir de substances intoxicantes (stupéfiants) et autres poisons pour l’esprit et la santé. Dans le Kriya, le pratiquant entre en connexion avec un support (yidam) qui est une sorte “d’inspirateur”, dont on invoque les “bénédictions”, alors que dans le Yoga tantra, la relation avec le yidam est plutôt d'ordre amicale. Pour ce qui concerne l’Upa, on reçoit l’abhisheka de “l’eau” et de la “couronne ” avec, en plus, le couple vajra/dorje et drilbou/cloche.
Parlons de l’abhisheka. Elle est conférée par un maître qui l’a lui-même reçue de son propre maître, et ainsi de suite au sein d’une lignée ininterrompue depuis son origine. Il fait tout d'abord une demande à la Terre-matricielle en visualisant le mandala (4) et en se visualisant lui-même comme la “déité d’initiation”. Il invoque un mandala simple et essentiel. L'ensemble de ces actions est appelé “la préparation du Dorjé Lopeun - tib. (Vajracharya – sct.)”. Passé ce temps de préparation, les auditeurs peuvent entrer (après offrande symboliques de tormas/dispersion [gâteaux sacrificiels servant d'offrandes, etc …). Ils se rincent symboliquement la bouche (dans la tradition originelle, on se rince également les pieds) pour symboliser le nettoyage/purification. En sacralisant les tormas, le maître enjoint aux diverses nocivités de tous ordres de se laisser expulser afin qu'il puisse mener l'initiation vers le refuge de l’activité de bodhisattva. L’abhisheka du Vase a pour but de nettoyer le corps de ses scories (l’herbe kusha est également porteuse de ce sens symbolique lié au nettoyage). En se rinçant la bouche avec de l’eau, la parole est purifiée, ce qui va mener le pratiquant vers l’abhisheka dite secrète, conférée à la parole.
Pour ce qui est du Yoga tantra, on s'achemine vers un aspect plus intérieur, entendu que pour y œuvrer il faut avoir reçu l’abhisheka de “l’eau”, de la “couronne ”, dorje/drilbou ainsi qu'un nom, mais également l’abhisheka du maître lui-même comme autorisation/permission, le “lung” (Tsa [canal subtil] Lung[vent/souffle].
— tantras intérieurs : Anuttara Tantra, qui comprend trois tantras internes, dits “yogas supérieurs” – Maha, Anu et Ati – destinés aux auditeurs ayant la capacité d’appréhender le sujet .
Il traite des techniques de kyérim, de génération de soi en la nature pure de la divinité.
Hévajra (Kyé Dorjé tib. « Diamant de joie ») est un tantra intéressant, en relation avec le fonctionnement des agrégats corporels.
Chakrasamvara (Korlo Demchog – tib. [« roue-sacrement » ou “rosaces”, symb. tournant dans les lieux du corps particuliers, canaux subtils, circulation des thiglè]) est en rapport avec l’organe de la parole.
Kalachakra – (Dukyi Korlo - tib. « roue/mouvement de l’espace-temps ») couvre l’aspect de sagesse du mahāmudrā (Chagya Chenpo tib. - « Grand Symbole »).
Le Samāja Tantra, « sagesse de méditation », aussi appelé tantra de Guhyasamāja, lui-même manifestation d'Akshobhyavajra/Sparshavajri, en sanskrit vajra-sattvaḥa (Sangwa Dupa - tib.), « Somme des Secrets », est en lien avec le symbole (lettre germe/mot) et les “nadi” dans lesquels circulent les “lung” qui permettent d'opérer des nettoyages fins. Il est en corrélation avec Dukyi Korlo.
Examinons les différences qui existent entre le Maha, l'Anu et l'Ati yoga :
– Le Maha yoga est un chemin qui nous permet d’appréhender le fait que la globalité est l’Esprit, apparence et vacuité sont indivisibles.
Tous les phénomènes comportent deux sortes d’énergies : l’une qui augmente, s’élève, l’autre, à l’inverse, qui s’oriente vers la diminution. La partie qui s’élève est similaire aux apparences, et le maha yoga travaille plus particulièrement avec elle.
Nous pouvons retrouver le principe du “lodjong” (Lojong - « entraînement de l’esprit », pratique bouddhiste Mahayana permettant de développer l'esprit d'éveil (bodhicitta altruiste), Atisha [Kadampa], XIIe siècle) dans le Vajrayāna, sous une forme très élaborée, mais identique en essence. Dans la pratique des “yidam”, quand nous nous visualisons et nous percevons comme inséparable de la “déité” symbolique dans son activité, il est évident que nous nous considérons comme représentant du genre humain en toute fraternité, voire au-delà, comme entité inclue dans le grand cercle de la Vie.
– L'Anu yoga : on y parle de l’inséparabilité de l’espace et de la sagesse, alors que dans le Maha yoga on parle de l’inséparabilité de l’apparence (développement) de la vacuité. Dans l’Anu, l’espace est perçu comme accomplissement/sagesse (vaste). Kyérim est la phase de génération, et Dzogrim la phase d'accomplissement et de complétude, d'achèvement dans le sens de “réalisation”. En fait, lorsque le voile brumeux de l’ignorance disparaît, apparaît la clarté sans obscurissement de la sagesse originelle (yéshe – tib). S’exercer dans l’Anu yoga, c’est expérimenter l’union primordiale de “yéshe” dans la vastitude limpide.
– L’Ati yoga incarne la sagesse ultime dans son essentialité qui peut être envisagée comme une forme de Yāna/“véhicule”. On peut aussi considérer que Maha est la base, l’Anu le parcours et l’Ati la résultante/fruit.
Ce qui différencie les yogas internes des yogas extérieurs, c’est la notion du non-duel. Le processus d’abhisheka dans le Maha Yoga passe par l'initiation dite “du vase”, puis par celle des cinq dhyani bouddhas, celle du maître et enfin celle des trois suprêmes (« Trois Joyaux »).
Les abhisheka /initiations majeures se déroulent sous deux formes ; celle de la cause et celle du chemin. L’abhisheka de la cause est considérée comme appartenant à une catégorie inférieure car elle dépend encore de la substance ; celle du chemin est conférée par le mandala (4) du corps [la dimension pure d’une personne], directement du maître à auditeur, sans passer par l’intermédiaire de substances.
Dans l'initiation de la cause, si tout se passe selon les règles et de façon élaborée et détaillée, à la fin de la première partie de l’initiation, le maître commence à construire le mandala, soit avec des sables fins de couleurs, soit en faisant de petits tas. Quand le mandala est prêt, le maître incarne l'essence de la déité/yidam. Dès lors, tout ce qu’il va conférer, il l'aura préalablement reçu du mandala. Le maître donne alors les vœux du refuge, puis ceux de bodhicitta. À ce stade, les personnes sont toujours vues comme étant dans leur état ordinaire habituel. À ce stade, les auditeurs considèrent le maître comme étant de même essence que le yidam symbolique, par exemple Korlo Demchog. Ils visualisent la scène de la manière suivante : ils sont tous absorbés par l’orifice bucal du yidam en question (ici c’est un type particulier de héruka avec sa dakini, d’autres abhisheka peuvent avoir un protocole différent). Ensuite, la visualisation les fait descendre dans les différents chakra/roues-d’énergie du maître jusqu’à être émis par sa roue-d’énergie secrète en union sexuelle avec sa parèdre-dakini. Pour finir, ils sortent du centre secret de la dakini et vont reprendre leur place d'auditeurs. Dés lors, ils se considèrent eux-mêmes comme héruka du yidam.
La pause du ruban rouge sur le front ou sur les yeux symbolise l’entrée dans le mandala et le fait de laisser l’ignorance de côté. Au travers des demandes se manifestent les activités des yidams du mandala. On se visualise alors sous la forme du yidam de l’initiation qui va être dispensée par le maître de ce mandala. Puis le ruban est retiré, les offrandes de fleurs ou de riz sont lancées vers le mandala, ce qui clôt la partie préparatoire et ouvre la voie vers le cœur de l’abhisheka.
Pendant l’abhisheka du Vase, quand le maître procède à l’aspersion d’eau et récite le mantrayana de la vacuité Om svabhâvashuddhâ sarvadharmâ svabhâvashuddho'ham, les agrégats des diverses consciences se dissolvent en la vacuité irradiante. Les cinq substances requises pour l’initiation sont en corrélation avec les cinq dhyani bouddhas. Elles nettoient/purifient les cinq poisons/obscurcissements émotionnels et les transforment graduellement en les cinq sagesses. Vient alors l’abhisheka du maître vajra. Nous sommes désormais détenteur d’un vajra/dorje et drilbou/cloche. Ainsi est octroyée par le maître la permission de pratiquer le yidam dont il est question avec les moudras, l'usage de substances d’offrandes et la possibilité de transmettre le vajrayana.
Après cela vient l’initiation dite “secrète” qui consiste en l’offrande de notre aspect corporel et d'une dakini visualisée qui devient la consorte du yidam d’initiation. Le thiglé (goutte subtile) issu de cette union spirituelle devient la substance servant de support à cette partie de l’abhisheka “secrète” (personnelle).
La troisième abhisheka implique l'offrande des trois aspects de notre personnalité : extérieur, intérieur et secret, soit corps, parole et notre esprit de bouddhéïté. Nous nous visualisons en tant que yidam et le maître vajra rend la dakini précédemment offerte. Lorsque nous sommes dans le processus d’union/félicité, il est important d’observer la sagesse de “l’exemple”.
Vient ensuite la quatrième offrande du mandala. Comme elle se situe au niveau du Dharmakaya, il n'y a rien de spécial à offrir. Au stade de cette quatrième initiation, expérimentant la nature des phénomène qui est félicité, nous faisons en sorte de la transposer en un regard de sagesse bienveillante sur la Vie.
— Les trois samādhi
Nous allons parler de l’état naturel ou “état naturel de l’esprit”, ou encore “état de fraîcheur” qu'est le Dzogchen.
Le Maha yoga est plus particulièrement porté sur la phase de développement. Kriya, Upa et Yoga l'utilisent aussi dans leur domaine, cependant le Maha est particulier car il débute par trois samādhi.
Concernant la visualisation, il est important de préciser qu'elle doit prendre place au sein d'un état “d’esprit neuf”, clair, vif. Nous commençons donc à méditer sur “les choses telles qu’elles sont” ou quiddité/ainsité. Dans une sadhana, pour méditer sur un yidam, on commence par dégager un espace de vastitude, ce qui veut dire qu’il faut débarrasser notre mental de tout ce qui l’encombre habituellement, les sons, les images, pensées etc … c’est le regard posé sur la quiddité/ainsité qui procure les conditions adéquates de la mise en espace : Om svabhâvashuddhâ sarvadharmâ svabhâvashuddho'ham. Il n’est point besoin de rien ajouter à “ce qui Est” : pensée et sensation de seconde génération, attentes, craintes etc … suivies de toutes les sensations émotionnelles comme les wagons d’un train. Le Maha yoga fait donc référence à cet état d’esprit originel, neuf, dénué de connotations du mental et de tout ce qui l’encombre. Ceci est directement perçu dans la vision pénétrante. L’émotionnel est ainsi vu pour ce qu’il est, et devient le chemin que l’on va parcourir, tel un cavalier qui chevauche sa monture; on l’apprivoise, on communique avec lui et l’on se sert de sa force pour “aller, avancer vers ...”.
La personne qui vit dans un rapport honnête avec elle-même ne se “raconte pas d’histoire” (à dormir debout ?), elle a une relation directe et limpide avec ce qui se passe, ne se laisse pas vraiment prendre au piège des schémas de pensées interprétatives en cascades qui sont le plus souvent le fruit d’une “insatisfaction” plus ou moins latente et diffuse. L’idée, c'est de faire en sorte d’être en cet “esprit neuf”, au-delà des évaluations et connotation de jugement. Ce samadhi de la quiddité/ainsité est la porte d'entrée vers la pratique de la visualisation.
Nous sommes donc authentiquement là, attentif au déroulement de la sadhana, à l’objet des “refuges”, au maître vajra, développant la bodhicitta. Cette attitude naturelle est en soi un processus purifiant qui nettoie une catégorie bien particulière de crasse : celle qui nous voile la clarté de l’espace lumineux. Ce type de saleté se présente sous deux formes : l’une plutôt grossière, l’autre moins aisée à cerner. Dans son aspect grossier, elle va nous permettre d’appréhender le processus de fin de vie à travers la résorption de nos divers éléments constitutifs corporels. Passé ce stade, il ne reste plus qu’une conscience subtile qui se fond, s’évanouit dans l’espace lumineux. Au cœur de cet “état imperturbable” gît la possibilité d'une conscience élargie, celle de “l’éveil”.
Dans son aspect subtil, le processus de la mort d'un individu se produit à chaque seconde. La possibilité de libération des fixations émotionnelles reste toujours entrebâillée. Or, l’opacité due aux routines du mental gravitationnel crée un état de perception complètement flou qui empêche la vision clarifiée. Le recueillement, la méditation bien conduite tout au long d’une vie, ouvrent la possibilité de résorber les grossières scories identitaires et de se placer dans un état qui conduit au Dharmakaya.
La seconde ouverture, c’est le samādhi de la compassion qui est source d’illumination. En général, lors d’une sādhanā, après la méditation de la quiddité/ainsité, nous abordons les différents aspects de la visualisation : lotus, lune et disque solaire etc … À ce stade se développe le compassionnel; non seulement cette compassion qui nous rend sensible à la détresse d’autrui, mais aussi quelque chose de plus sophistiqué qui prend appui sur le samādhi de la quiddité/ainsité et fait naître l’équanimité qui permet la libération de la saisie.
Lors du processus de mort, si “l’angoisse” fait fuir la révélation de clarté, alors on chute dans un état trouble aux prises avec des projections du mental déstabilisantes (les “bardö” divers). Par contre, si l’on arrive à dépasser ce stade et que l’on purifie ce mode de perception, c’est le sambhogakāya. Cela correspond au samādhi de la cause. Dans les diverses sādhanā il est en relation avec les syllabes germes “Hung”, “Tam” ou encore “Om” (il existe un débat sur le fait de visualiser ces syllabes sous la forme alphabétique tibétaine ou occidentale, mais en fait cela n’a aucune importance ni incidence. Le mieux est de faire selon ce qui est le plus signifiant pour chaque personne).
Examinons la crasse qui correspond à ce niveau de samādhi. Comme nous l'avons déjà dit, il existe deux formes de “bardö” : le grossier qui se manifeste au moment de la mort, et celui dit subtil qui se manifeste en permanence. Ce qui ère dans “l’angoisse”, c'est la conscience. Selon l’approche de Kuntouzangpo/le Totalement Bon (Bouddha primordial en “lui-même”), la nature de cette conscience est de toujours chercher des réponses à des questions dans un but de rassurance, pour s'accrocher à un savoir acquis. Cette tendance induit chez elle une réaction systématique qui la pousse à se jeter vers tout ce qui lui procure une sensation de “protection”. En général, l’endroit perçu comme pouvant offrir un “refuge” est une projection constituée par le contenu de la conscience, les imprégnations qui l'habitent, ou karma-vipāka (maturation-résultat). Selon les personnes cette perception/refuge a une connotation agréable ou désagréable. C'est ainsi qu'au niveau de l'aspect subtil de “l'angoisse” (mélange de peur et d’espoir en attente), quand apparaît une ébauche de solution, se crée une connexion immédiate. Ce mouvement est très réactif dans ses appréciations et jugements, sans espace, sans recul, sans distance, rien n’est posé. La clarification de ce réactionnel est le nirmanakāya. On visualise une forme du nirmanakaya qui est celle du yidam. Pendant les mantrayanas de Padmasambhava (« né du lotus » - sanskrit) ou de Gourou Rinpoché (« précieux maître »), la présence des trois samādhis est effective.
En fait, le Maha, l'Anu, et l'Ati-yoga relèvent tous d’une même veine, à savoir la capacité d'utiliser le monde émotionnel comme chemin à parcourir tout en étant conscient que “la soif” de notre insatisfaction et notre fébrilité à étancher celle-ci sont la source de la difficulté à franchir pour pouvoir accéder à un état de complétude.
L’Ati yoga comporte trente six formes d’initiation différentes. La vue, comme précédemment signifié, est “tout est l’esprit”. Cet esprit est libre des extrêmes, caractéristique représentée sous la forme visuelle de Samantabhadrī (Kuntouzangmo – tib.). Quand l'espace de Samantabhadri est ainsi symbolisé, il devient le “bhaga” (la matrice) qui est le mandala ultime. De ce “bhaga” spacieux se lèvent toutes sortes de phénomènes apparaissant d’eux-même. Comme ils émergent de l’espace, ils ne sont pas déviés. Cet aspect non-obstrué du mandala ultime est Samantabhadra (Kuntouzangpo – tib. “le tout/entièrement bon”). Ces deux caractéristiques n’ont jamais été séparées, elles sont le mode d’union ultime. Par le pouvoir de l'union de Kuntouzangpo/Kuntouzangmo naît le “fils” ou grande félicité. Elle représente un autre aspect du mandala ultime. On se souvient qu’il y trois niveaux de mandala dans l’Anu-yoga : Samantabhadrī/l’espace en tant que matriciel et non-limité, où il est toujours possible d’agir ; Samantabhadra/qui personnifie les phénomènes qui apparaissent au sein de l’espace sans en avoir jamais été absents, séparés ; et enfin, la conscience sans effort de cette complétude fondamentale, l'ouverture à la félicité en soi, qui est le troisième mandala, celui qui est engendré par les deux autres, et qui est appelé “mandala du fils”. En pratique, cette dynamique est en correspondance avec la circulation des “lung” et des “thiglé” au travers des roues/rosaces et “nadi”. Les utiliser demande une certaine préparation afin d'établir une carte interne et une circulation correcte (24 autels 32 endroits du corps vajra). Si on n'accède pas à la compréhension profonde de cet espace interne des “24 autels 32 endroits”, il est toujours possible de se rendre dans divers lieux de consécrations spirituelles (temples etc …).
Revenons aux “syllabes germes”. Dans l’Anu-yoga, les nadi sont importants parce que les plus raffinés d'entre eux sont des “syllabes” ou des “thiglé” (gouttes). Dans certains tantras, comme le Hévajra Tantra (Kyé Dorjé – tib., « Diamant de joie » [la parèdre de Hevajra est Vajranairātmyā « Adamantine Absence de moi »], où Hévajra symbolise l'essence adamantine du monde phénoménal, il est précisé qu'il nous faut déployer notre activité à travers des corps sexuellement matures, féconds. C’est pour cela que les “syllabes germes” Om Ha Hung sont très importantes, car les nadis les plus subtils servent de fondement aux nadis plus grossiers. Ces “syllabes germes” sont une combinaison entre une lettre, l'imagination et l'habitude. Ces lettres n’en sont en fait pas vraiment en tant que tel, on ne les “lit pas”. Elles sont un support pragmatique qui exprime le vibratoire qui anime toute vie. Il n'est donc pas nécessaire de produire des visualisations de “syllabes germes” issues d’un alphabet qui n’est pas celui de notre culture d’origine. Le bouddhisme a pour objectif de travailler sur les habitudes et la nature des émotions. De ce fait, nous avons à travailler à partir de ce que nous sommes en l’état, sur la base de notre culture et de nos représentations.
Nous allons maintenant parler de l’Ati yoga. Il se rapporte à l’espace que nous avons déjà abordé dans l’Anu yoga, mais l’Ati utilise une méthodologie spécifique à travers lequel on n’adopte rien et on ne délaisse rien non plus ! On part de l’idée que dès l’origine, rien n’est à exclure et rien n'est à abandonner, que la nature de bouddha est là, présente, immanente, que la découvrir est la nature même du chemin ou sadhana. Dans le Maha et l’Anu il existe une notion de labeur (développer, effectuer la complétude), du point de vue de l’Ati si nous devons faire quelque chose, ça cloche ! Il n’y a en lui rien de cet ordre : adopter, abandonner, rien … L’abhisheka correspond à l’introduction à la nature de l’esprit, elle est complètement indépendante des substances etc … à ce stade, le maître vajra prend plutôt appui sur les circonstances, l'abhisheka est donc liée à la profondeur de la relation intime avec la personne, au “feeling”.
(Vermont 1987)
Childéric MAITROT © juin 2019
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(1) … nous ne sommes absolument pas convaincus de l’argumentation avancée sur le processus mémoriel ! [voir les travaux de E. Kandel* nous explicitant que le lien identitaire référentiel d’un humain est fondamentalement lié au processus mémoriel du mental, que cela est le liant sine-qua-non, l’architecture pourrait-on dire de notre originalité humaine.] Si “impression mémorielle” il y a, dépassant le cadre d’une existence formelle, cela ne peut se situer à notre humble avis que dans le génome, en en ayant vécu une certaine expérience !
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* Eric Richard Kandel, (1929 - Vienne en Autriche, médecin psychiatre, chercheur en neurosciences, professeur de biochimie et de biophysique.]
( une remarque du transcripteur)
(2) Les vœux de bodhisattva peuvent se prendre dans le contexte des trois types de discipline. Ces trois types d'éthique sont, d'une part, l'engagement de réduire tout acte négatif qui induit de la souffrance et, d'autre part, l'engagement d'accumuler des actions positives, qui génèrent un bienfait pour soi et pour les autres. La troisième éthique est une conduite qui accomplit le bienfait des autres.
Afin de préserver les différents engagements concernant ces vœux, un entraînement est nécessaire. Ce que signifie préserver l'engagement de ces vœux d'aspiration et d'application est clairement développé dans le Joyau Ornement de la libération de Gampopa. Cet engagement est la base d'un développement puissant de la vertu et de ce qui est positif. C'est quelque chose qui va se développer automatiquement si l'on préserve les vœux pris. Même lorsque l'on dort, même quand l'esprit n'est pas attentif, ces bienfaits continuent à se développer. C'est la raison pour laquelle les vœux sont dits être un fondement fertile pour le développement de toute vertu.
Shamar Rinpoché DKL, juillet 1999
https://www.dhagpo.org/fr/multimedia/revue-tendrel/311-les-voeux-de-bodhisattva-4
(3) Le terme sanskrit dharmakāya signifie « [kāya]corps de [réalité] la loi » et apparaît déjà dans les textes les plus anciens du bouddhisme par opposition aux pūtikāya, « corps de pourriture » et aux manomayakāya, « corps spirituels » avec lesquels le Buddha se déplace dans les univers. Le dharmakāya représente alors l'ensemble des doctrines enseignées par le Buddha. Pour les Sarvāstivādin, le dharmakāya est l'ensemble des dharma, ou choses pures, qui forment le Buddha : moralité, concentration, sagesse, libération et connaissance de cette libération. Ce dharmakāya est opposé au rūpakāya, « corps matériel (ou corps historique) », et au nirmāṇakāya, « corps fictif, corps de magie », que le Buddha peut faire apparaître partout. Dans le Mahāyāna, le dharmakāya, d'abord associé au dharmadhātu, « élément fondamental », entre dans le domaine de l'absolu ; composé toujours uniquement de choses pures, il est l'élément essentiel, le seul authentiquement vrai, transcendant et inconcevable. Il s'oppose au saṃbhogakāya, « corps de jouissance », forme sous laquelle le Buddha se manifeste aux bodhisattvas, ainsi qu'au nirmāṇakāya.
Jean-Christian Coppieters
— Le Sambhogakâya dans la pensée bouddhique, suivant l'école Mahayana, est le « corps de félicité », l'un des Trikâya, les trois corps du Bouddha. Aussi appelé corps de (ré)jouissance, il peut être manifesté par l'accumulation de mérites. Il n'est perceptible que par les bodhisattvas de la dixième terre. Ce corps est associé à la parole de Bouddha et représente l'état d'accomplissement ultime. Celui qui possède un tel accomplissement peut sauver tous les êtres qui le voient des cycles de réincarnations et de souffrances.
(4) ou “rosaces”, structures de géométrie fractale universelle dans les champs d’énergies ondulatoires qui sous-tend le manifesté
https://hridayartha.blogspot.com/2019/11/une-carte-nest-pas-le-territoire.html
Padmasambhava sous sa forme symbolique de Lama-medecin. Sur le socle, les huit Bouddhas de la médecine
Notre « critique littéraire » de ce livre
Lama* Thoubten Yéshé est, dans ce manuel de pratique de yoga tantrique, d’une brillante clarté, son étincelante intelligence précise les contours de ce qu’est l’exigence d’une vie spirituelle, à distinguer d’un amalgame avec une religiosité d’un autoritarisme suspect, et très douteuse trop souvent ; lui, en tant que représentant d’une tradition spirituelle, se positionne de façon délibérée dans une vision moderne vers l’Occident d’aujourd’hui.
L’ouvrage se présente en deux parties différentes, un « Commentaire Principal » suivi « d’Instructions de retraite » ; nous nous bornerons à donner notre sentiment sur la première partie, la seconde s’adressant à un “public” trop restreint pour avoir un quelconque intérêt dans le cadre qui nous occupe ici. Cependant , nous nous y référerons en terme de citations signifiantes et éclairantes, pour le “public” concerné à qui s’adresse ce livre spécialisé.
Un premier “message” est stipulé en introduction à destination des personnes intéressées : l’approche exclusivement l'intellectuelle ne suffit pas ! La mise en activité in-situ est nécessaire pour assimiler et intérioriser l’amorce du processus de métamorphose des modes perceptifs de fonctionnement de la Vie qui nous habite.
Lama Thoubten d’ailleurs se positionne en dehors du “dogme strict”, ce qu’il préconise c’est une implication pragmatique, quasiment un “travail manuel”, sur nos jeux émotionnels gravitationnels, ce qu’il stipule clairement (p. 56).
Pour lui, la condition préalable, avant d’aborder à proprement parler la “méditation assise” śamatha, ([chiné] ཞི་གནས་ en tibétain) ou vipaśyanā ([lhaktong] ལྷག་མཐོང en tibétain), est de développer une conscience aigue sur ce qui motive nos actes et notre manière d’être en général, plutôt que d'être obsédé par le fait de “méditer” qui se distinguerait d’un état “non-médité” dans notre vie quotidienne (pages : 43/44/45).
Il nous met en garde par ailleurs devant une approche trop “intellectualisante” : « La parole d'hommes sans expérience est comme le sifflement vide du vent dans vos oreilles (p. 48).
… je crois qu'il vaut mieux pour vous une pratique continue de plusieurs années que des accès impulsifs et émotionnels de méditation en retraite solitaire. Une pratique continuelle constitue une voie puissante de purification des actions négatives. (p. 49) »
De la page 53 à 55 il dépeint avec éloquence ce qu’il nomme lui-même de faute grave : le « gourouisme » ! Nous avons rarement eu une “peinture” aussi claire et percutante de la chose de la part d’une autorité tibétaine reconnue, en la matière ! (à bon entendeur … !)
« Parfois les gens s'imaginent que les lamas ont le pouvoir de changer leur vie. Mais c'est la sagesse du Dharma qui change l'esprit humain. Elle pénètre votre conscience, et vos attitudes mentales s'en trouvent transformées. Ceci est le pouvoir du Dharma et non la magie des lamas. Nous ne connaissons rien du tout à la magie ! (p. 75)
De nos jours, beaucoup de gourous sont attachés à leurs disciples et veulent que leurs disciples leur soient attachés. C'est une erreur monumentale. Il est absolument malsain pour des disciples d'être attachés à leur maître ou à leur chemin ! (p. 239)
… ceci signifie qu'en définitive, c'est vous (et non les bouddhas) qui êtes responsables de votre propre libération. Soyez très clairs là-dessus. » (p. 58)
Soit les trois socles de base :
— le dévouement, et le travail des “paramita” (l’altérité).
— l’abandon de la perception gravitationnelle identitaire des émotions.
— l’aléatoire de l’impermanence et l’appartenance à la totalité ou vacuité.
Il soulève par ailleurs l’ambiguïté pouvant surgir dans le cadre de “retraites” institutionnalisées, d’être “entretenu” sans avoir la nécessité de lutter au quotidien pour le vivre et le couvert (p. 96), et également, le fait que toutes les pratiques du monde oriental ne sont pas forcément à “valider” dans la culture occidentale, certaines pouvant ne pas convenir du tout ! (p. 200).
En outre, il précise sa pensée : parlant “d’innovations tibétaines” ne relevant pas de traditions dont il aurait été hérité depuis les temps anciens de l’Inde. (p. 224)
— Les substances à offrir :
« Vous pouvez offrir au tsok toutes sortes de nourriture ou de boissons. Il n'est pas indispensable que vous adoptiez le style tibétain, car les tormas en tsampa n'existaient évidemment pas du temps de Nagarjouna dans l'Inde ancienne. Vous pouvez offrir des carottes, du chocolat, des milkshakes ou même de la nourriture dite noire [...], en bref, tout ce que vous aimez qui soit propre et disponible là où vous vivez. (p. 233)
D’autre part, Lama T. Yéshé exprime sa grande confiance en la capacité de l’être humain de mettre en œuvre la flexibilité de sa neuroplasticité et de la beauté de son esprit de résilience, pour peu que les conditions puissent être réunies … (p. 235) et donner ainsi un élan de générosité face au fatalisme défaitiste où nous n’aurions aucun moyens de progresser dans la maturité de notre propre Humanité. Dans cet ordre de point de vue il stipule que : « Je ne crois pas que la renonciation des moines et moniales soit forcément meilleure que celle des laïc, en quoi que ce soit. »
Et il précise : « Lorsque vous connaissez la nature (ou la réalité) des plaisirs sensoriels, vous avez l'espace suffisant pour lâcher prise. Les plaisirs des sens vont et viennent. C'est ainsi et vous l'acceptez. (p. 266) Faire preuve de souplesse, voilà la clé : vous êtes satisfaits si vous obtenez du plaisir, vous l'êtes aussi si vous n'en obtenez pas. De cette façon, il devient facile de vivre. » (p. 269)
Ainsi donc il relève de la responsabilité de tout un chacun de développer la “maturation” de sa propre humanité.
Notons que dans le cadre spécifique de la tradition spirituelle du Vajrayana, Lama Thoubten recommande la plus stricte et grande discrétion quand au processus engagé, à savoir que :
« Certains disent : “J'ai reçu cette initiation, pas toi.” Je n'approuve pas ce genre d'arrogance. Que ce soit parmi les Tibétains ou les Occidentaux, qui peut dire qui a reçu quelle initiation ? Seuls les individus concernés peuvent dire quelle initiation ils ont ou n'ont pas reçue. Vous ne pouvez décider cela pour les autres. C'est en ce sens que j'autorise habituellement toute personne sincère, à venir à une initiation. Je ne peux savoir si l'esprit des autres est élevé ou pas, ni si l'initiation leur viendra en aide ou pas. Soyez prudents. »
et d’ajouter : « Quoi qu'il en soit, de brèves expériences de méditation dans un centre du Dharma ne suffisent pas. Vous devez, où que vous soyez, maintenir une conscience continue de la vision juste. » (p. 265)
Il clarifie clairement également un des aspect du Vajrayana souvent lancé “à la cantonade” dans ces milieux en Occident : — « Que signifie l'expression “enfers de vajra” ? « Vajra » peut être entendu au sens relatif ou absolu. Ici, je me réfère au vajra relatif (comme le vajra et la cloche, instruments tantriques dont nous nous servons). Le mot signifie “indestructible”, « pareil au diamant ». Le diamant est plus dur que la plupart des autres matériaux ; il est difficile à détruire. Telle est la connotation de vajra. Serait-il possible qu'il existe un royaume indestructible de souffrance ? Disons qu'il s'agit là de licence poétique, qu'il y a légère exagération. Il n'existe rien de tel qu'un phénomène permanent, inchangeable. [...]
De toutes façons, ce n'est qu'une expression qui n'est pas à prendre à la lettre. » (p. 250)
Égratignant plaisamment dans un clin d’œil “les super-méditants” : « ...les méditants deviennent parfois hypersensibles et remplis de colère. Ils ne veulent aucune distraction et peuvent devenir très égoïstes. Quelqu'un fait un peu de bruit et ils en sont très contrariés : “Vous détruisez ma méditation !” » (p. 276) L. Thoubten explicite la bodhicitta : Bodhi signifie “totalité”, citta, “cœur”, « cœur de totalité » (en contrepoint de la gravitation émotionnelle étriquée et douloureuse), qui développe l’intérêt** universel pour autrui en y invitant au maximum tous les êtres… l'attitude dévouée est votre méditation et votre vie ; votre pratique de vigilance consistera alors à éliminer l'attitude égoïste et vous consacrer à autrui […] Rien d'autre n'est en mesure de vous satisfaire véritablement. Vous n'avez pas besoin d'être fortuné pour ce faire. Même si vous n'avez rien, vous pouvez quand même y consacrer votre vie. (p. 275/76/77)
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* authentique ! À savoir :
— terme qui désigne le maître spirituel [tib. dorjé-lopeu ou skr. vajràcàrya], plus précisément qualifié pour transmettre dans le cadre du vajrayana les “abhisheka” d'une sādhanā (cheminement spirituel) devenant éventuellement le “lama-racine” si il y a lieu. Son rôle, tel un(e) maïeuticien(ne), est de mener le pratiquant à l'éclosion en lui-même de son propre « maître en soi ».
“abhisheka” d'une sādhanā :
lung (souffle/influx vibratoire de la “grâce”) ; wang (canal vers un récipiendaire recevant l’énergie de faire) ; tri (lecture rituelle avec instructions)
** (… bienveillant ! ... et qui devra l’être d’autant plus que nous sommes confrontés nous-même à des peines qui nous touchent dans notre personne [note du transcripteur])
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— Il est à noter que L. Thoubten emploie souvent les termes de “superstition - pensée superstitieuse”, ceci est à entendre comme équivalent de “trompeur/trompeuse”, par un attachement excessif à la saisie du mental.
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accompagnée de nombreuses citations qui sont disponibles sur ... :
https://www.babelio.com/livres/Thubten-Le-Pouvoir-de-purification-du-Tantra/1293142
Nous pouvons donc mesurer aujourd’hui de manière assez abyssale, ce qui depuis la fin des années 1970, début 90, aurait pu être possible, envisageable et souhaitable en matière de diffusion du Vajrayana en occident, et de ce que l’esprit de conservatisme de mandarin, voir de fondamentaliste (?), en a fait de nos jours !
(note du 07/03/2021)
Ouvrage de référence incontournable si l’on veut aborder avec clarté le sujet délicat des tantras de la voie du Vajrayana (“véhicule résultant”, ou encore, de “fruition”) en occident.
Notre « critique littéraire » de ce livre (accompagnée de nombreuses citations) est disponible sur ... : https://www.babelio.com/livres/Yeshe-Espace-du-Tantra/195040
(note du 17/08/2020)
« Il est très important, enfin, d'être capable de discerner très clairement entre l'essence du tantra et les formes culturelles dans lesquelles elle est actuellement enrobée. Je veux dire qu'il n'y a dans ce domaine rien à gagner pour un occidental, à prétendre être ou agir comme un Tibétain ou comme n'importe quel autre oriental. Par exemple, apprendre des prières dans une langue étrangère ne constitue pas en soi le moyen de réaliser notre potentiel humain suprême. Nous ne gagnerons rien de transcendant à substituer un ensemble de conventions et d'habitudes culturelles à un autre. Ceux dont la pratique en reste à ce niveau superficiel n'obtiendront à long terme que confusion et désarroi, ne sachant plus qui ils sont ni ce qu'ils ont à faire. Toutefois, à cette époque de transition où les enseignements tantriques émigrent d'Orient en Occident, étudier la langue tibétaine, par exemple, présente de gros avantages. Mais nous ne devons jamais, à mon avis, nous départir de l'idée que le tantra dépasse, et de loin, tout langage et toute coutume. Car ce que le tantra doit nous enseigner, c'est un moyen d'échapper à tous les conditionnements limitant la compréhension de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons devenir. Si nous abordons ces enseignements avec une intelligence aiguë et la forte détermination d'en extraire l'essence, nous pouvons vraiment enrichir nos vies de cette satisfaction intérieure et de cette totalité que nous recherchons tous. » Lama Thoubten Yéshé
page 34
et également :
L'Important, c'est la Pratique
Beaucoup de mes étudiants qui souhaitent approfondir leur apprentissage du Dharma me demandent s'ils doivent apprendre le tibétain. Voilà ce que je leur réponds : « Si vous voulez apprendre le tibétain, apprenez-le. Si vous ne voulez pas l'apprendre, ne le faites pas. Il existe une quantité d'informations disponibles en anglais et dans d'autres langues. » J'ai mes raisons pour leur répondre ainsi. J'ai de la sympathie pour les étudiants occidentaux, et je les observe depuis pas mal d'années. Bon nombre de mes étudiants ont appris le tibétain, après quoi certains, semble-t-il, se sont mis à moins pratiquer le Dharma. Cela n'a pas de sens pour moi. Le tibétain n'est pas une langue sacrée. Dans toutes les cultures, on apprend une langue ; cela fait partie du samsara. En apprenant le tibétain, ce que vous apprenez c'est un “trip samsarique tibétain”. C'est pour cela que je ne pousse pas mes étudiants à apprendre le tibétain.
p. 79
L'Inspiration du Gourou
Pourtant les Tibétains diraient : « Regardez comment cet étudiant italien approche son maître ! Les Occidentaux n'ont ni humilité ni dévotion. » Mais cette critique n'est pas vraiment valide. Il n'est pas logique de dire que Claudio manque de respect simplement parce qu'il se comporte selon les usages de sa culture.
Lorsque j'ai commencé à enseigner aux Occidentaux il y a de nombreuses années, la plupart de mes amis tibétains ont été choqués. « Comment peux-tu enseigner aux Occidentaux ? » me demandaient-ils. « Comment peuvent-ils comprendre le Dharma du Bouddha ? Ce que tu essaies de faire est impossible. » J'ai été l'objet de quantité de critiques.
En fait, il est plus difficile d'enseigner à des Occidentaux qu'à des Tibétains. Si des Tibétains me demandent s'ils peuvent purifier tout leur karma négatif en récitant le mantra de Vajrasattva, je n'ai qu'à leur répondre avec une citation pertinente du Bouddha Shakyamouni ou de Lama Tsongkhapa. Je n'ai pas besoin de réfléchir longtemps à ma réponse. Il me suffit de citer quelques mots d'un texte, et ils sont contents. Si vous leur fournissez les citations adéquates, les Tibétains se tiennent tranquilles. Au contraire, un Occidental demandera : « Lama Djé Tsonglchapa a dit quoi ? Pourquoi a-t-il dit cela ? Comment a-t-il pu dire cela ? Est-ce que ça marche ? » C'est très bien ! Mais à cause de ces différences culturelles, les Tibétains s'imaginent que les Occidentaux ne connaissent pratiquement rien au Dharma.
Il y a quelques années, un lama tibétain érudit que j'avais invité à enseigner dans mon centre du Dharma en Angleterre me disait : « Peut-être qu'un enseignant très qualifié n'est pas vraiment nécessaire pour les Occidentaux. Un enseignant ordinaire est peut-être suffisant. » Il me disait cela tout à fait sérieusement. Je n'ai pas répondu. Toute discussion était inutile puisqu'il avait déjà accepté mon invitation. Il allait se rendre compte par lui-même. Je l'ai rencontré six mois plus tard quand je suis venu en Angleterre pour enseigner. Je ne lui reparlai pas de notre précédente conversation, mais c'est lui-même qui un jour me dit : « Ce que je t'avais dit lorsque j'étais en Inde était une erreur. Je pense qu'il est très difficile d'enseigner aux Occidentaux. » Voilà un témoignage fondé sur l'expérience !
p. 105/06
Lama Thoubten Yéshé - « La Béatitude du Feu Intérieur »
éditions Vajra Yogini © 2008
et en contrepoint une argumentation fort intéressante :
https://hridayartha.blogspot.com/2020/11/
« La femme a-t-elle la nature de Bouddha ? »
“Les tulkus tibétains ne sont pas des losers non plus, et les valeurs et critères qu’ils enseignent en Occident sont souvent tout à fait compatibles avec les valeurs et les critères du Bodhisattvabhūmi du IVème siècle, comme si l’on n’avait pas changé d’époque et de région.”
https://hridayartha.blogspot.com/2021/02/la-femme-t-elle-la-nature-de-bouddha.html